Mise en place des CSE et Conseils d’Entreprise, enjeux et partage d’expériences 2/2
6 septembre 2019
Adapter les CSE et Conseils d’Entreprise au sein d’un entreprise
Dans le cadre d’une relation antagoniste, rythmée par le rapport de force, le recours à cette liberté normative peut se traduire par des effets de balancier très perturbateurs pour la gestion d’une entreprise, les salariés, et l’économie de la nation. Ces textes supposent une utilisation raisonnée qui s’inscrit dans des relations sociales d’une nouvelle nature. L’exposé des motifs de la loi El Khomri rappelait que «Dans ces évolutions, les partenaires sociaux ont souvent été moteurs, par la négociation d’accords nationaux interprofessionnels ensuite transcris dans la loi. Le dialogue social a produit et connu ainsi une rénovation sans précédent depuis les lois Auroux ». Il y était ajouté « … Le présent projet de loi s’inscrit dans cette lignée: donner au dialogue social une place beaucoup plus importante dans la définition des règles sociales pour que le pays passe enfin d’une culture de l’affrontement à une culture du compromis et de la négociation ». Concernant les ordonnances Macron, l’étude d’impact du Cabinet du Premier Ministre, relevait « Le succès de cette évolution structurelle majeure, qui s’inscrit dans le long terme, est conditionné à un basculement rapide et massif dans la nouvelle logique, de sorte que le code du travail soit rapidement et résolument rédigé dans des termes affichant la primauté de l’accord d’entreprise et que les années à venir soient consacrées à la mise en œuvre de toutes les initiatives de nature à généraliser le recours à la négociation locale et loyale». Elle ajoutait « … les modifications législatives ne suffiront pas à elles seules à modifier des décennies de pratiques.
Il conviendra d’accompagner ce mouvement de nombreuses initiatives, non réglementaires (…) notamment en matière de formation aux techniques de médiation, tant en direction des chefs d’entreprise et managers que des représentants du personnel (…) qui permettront d’installer durablement une culture de la négociation et de la concertation dans le pays». La mise en place des CSE, qui doit s’achever avant le 31 décembre 2019, est un test à dimension réelle de cette capacité à créer des relations sociales basées sur la loyauté, et la concertation.
Il s’agit pour les partenaires sociaux, représentants des salariés et de la direction de l’entreprise, de s’approprier un cadre général et de l’adapter aux réalités de leur entreprise. Une première réaction est la résistance au changement. Cela se traduit par exemple par le choix de structurer les ordres du jour des réunion du CSE en trois parties correspondant aux missions des anciennes institutions ; les réclamations pour les anciens délégués du personnel, la gestion et l’organisation pour les anciens comités d’entreprise, l’hygiène sécurité et conditions de travail pour les anciens CHSCT. Cette orientation est accompagnée d’une demande d’heures de délégations d’un nombre supérieur à celui prévu par la loi, pour se rapprocher du volume cumulé des anciennes institutions, et parfois de la mise en place de représentants de proximité qui ont pour rôle de collecter les réclamations à débattre en séance. Les représentants du personnel soupçonnent la direction de s’appuyer sur les textes pour faire des économies et réduire leur capacité d’action et la direction accuse les syndicats d’immobilisme. Les syndicats font pression pour négocier les moyens du CSE avant l’organisation des élections et la direction veut observer le fonctionnement du CSE pour déterminer si des moyens spécifiques sont nécessaires. Au final, le rapport de forces fixe le curseur des heures de délégation, le nombre de représentants de proximité, le nombre et moyens des commissions, le nombre de réunions, la présence ou non des suppléants aux réunions, les réunions préparatoires. Il est donc possible de ne rien changer, ou presque.
A l’inverse, des entreprises se sont engagées dans une démarche innovante et ont proposé à leurs élus en place, et par conséquent à leurs délégués syndicaux, de partager au préalable une réflexion sur la place de la représentation du personnel dans l’entreprise. Sur l’ensemble des expériences que nous avons accompagnées, une seule direction s’est vue opposer une fin de non-recevoir de la part des organisations syndicales qui craignaient de se faire manipuler par un conseil proposé par la direction. La D.R.H. de cette entreprise nous a toutefois indiqué que les échanges autour de cette proposition ont marqué une étape dans l’évolution du dialogue social. Dans les autres entreprises, direction et représentants du personnel, parfois uniquement les délégués syndicaux, parfois l’ensemble des élus, ont accepté de répondre ensemble à la question « Quel devrait être le rôle des représentants du personnel dans notre entreprise ? ». La méthode met en évidence le consensus détaillé en moins de deux heures. Elle prévoit la possibilité de rejeter un sujet sans avoir à le justifier, ce qui n’a jamais été utilisé par les groupes. A quelques nuances près qui ne sont pas déterminantes, propres au moment de l’histoire de chaque organisation, la vision partagée entre directions et représentants du personnel, toutes sensibilités syndicales confondues, est commune à l’ensemble des entreprises. Les missions sont décrites ci-après en reprenant les expressions utilisées en réunion, sans hiérarchie entre elles.
En premier lieu il s’agit de contrôler l’action de la direction pour s’assurer qu’elle prend bien en compte le personnel. S’expriment ici les actions visant à faire entendre à la direction les inquiétudes, les mal êtres, les incompréhensions du personnel vis-à-vis de la gestion de l’entreprise et des conditions de travail, de leur avenir, mais aussi concernant le comportement de la ligne managériale et les iniquités ressenties, au final les élus doivent « Montrer la réalité du terrain à la direction » et « remonter un maximum d’information qui ne sont pas remontées par les autres canaux », plus précisément « faire remonter ce qui ne se voit pas, ce que les non élus n’expriment pas ». En ce sens les élus « doivent être en mesure de représenter un salarié ou une minorité en souffrance ». Dans ce cadre les élus ne sont pas de simples porte-paroles. Ils ont « un rôle de discernement en fonction de la gravité réelle des situations », doivent « synthétiser les avis du personnel et les partager avec la direction », « sont des intermédiaires avec la hiérarchie avant que les problèmes se déclenchent » et « mettent la direction face à ses responsabilités qui demandent parfois du courage ». Ils alertent sur « l’état d’esprit de l’entreprise » en vue « d’éviter que la température monte ». En deuxième lieu les élus ont un rôle en matière de communication descendante et contribuent à « Faire descendre l’information », « Pour expliquer les décisions prises par le collectif » plus précisément, « Expliquer avec les bons mots les directions et décisions prises ». Leur troisième rôle est leur « fonction de médiation, et d’anticipation ». Ils « sont un trait d’union entre tout le personnel et la direction », et sont « à l’écoute, un médiateur, pour améliorer la relation de travail, l’organisation ». Ils contribuent à « la création du dialogue social en gérant les ASC et en étant disponibles pour les collaborateurs » et aident à « éviter la rupture du dialogue social ». Ici le dialogue social s’entend de la relation entre les salariés et l’employeur. Les élus sont « une soupape de sécurité pour éviter le conflit social». Dans cette entreprise de la métallurgie en particulier les élus « aident à une communication simple et efficace », pour « développer l’intelligence relationnelle » et « assurer le lien social quotidien » en vue de « rétablir la confiance entre employeur et salariés ». Dans cette autre entreprise de travaux publics il s’agit de « Aider l’entreprise à étendre son management libéré aux ouvriers ». Les élus bien entendu défendent les intérêts des salariés et pourquoi pas visent « Préserver les acquis et tenter d’en obtenir de nouveaux » ou « Faire évoluer les acquis et les mettre à jour ». Ils ont aussi pour objectif de « faire progresser prévention des risques et pénibilité » et de manière plus ambitieuse « d’améliorer la qualité de vie au travail », voire « Faire progresser la qualité de vie en général » et au final «Permettre l’épanouissement de chaque salarié ». A minima les représentants du personnel doivent « Faire en sorte que le contrat de travail aussi bien du point de vue moral que juridique soit respecté par la direction ». Toutefois leur enjeu principal est de « veiller à la bonne marche de l’entreprise » pour l’aider « à rester performante et pérenniser l’emploi ». Pour y parvenir il apparaît nécessaire de « faire prévaloir l’intérêt collectif sur l’individuel », « Faire que les intérêts individuels se retrouvent dans le collectif » en constatant que « travailler sur l’intérêt général permet aux intérêts personnels d’évoluer ». Ceci permet par exemple de « trouver le meilleur compromis entre le bien être des salariés et l’organisation du travail », « Trouver avec la direction les solutions aux difficultés, comme par exemple le fonctionnement en production ». Cette participation à l’efficience de l’entreprise suppose de «Défendre l’intérêt des salariés en harmonie avec celui de l’entreprise » dans le cadre « d’un débat contradictoire avec l’employeur». Au final les représentants du personnel sont « un vecteur d’accompagnement du changement » dont la mise en œuvre suppose l’engagement des salariés et par conséquent un minimum de confiance. A ce titre ils « Participent à conforter la bonne foi et en surveiller le respect ».
La question du rapport de force avec la mise en place de CSE et Conseils d’Entreprise
Il ressort clairement que les antagonismes ne portent pas sur le rôle des représentants du personnel, mais peuvent apparaître en raison des difficultés rencontrées pour assurer ce rôle. En prenant le risque de représenter leurs collègues, les représentants du personnel leur ont fait la promesse que leur point de vue sera écouté. Ils leur rendent compte. Dans le cadre de ces travaux, le rapport de force n’est jamais apparu comme un levier de négociation, mais comme un recours en cas de surdité de la direction, ou d’incompréhension de ses décisions ou actions. Direction comme représentants du personnel espèrent des relations sociales loyales et apaisées. La ligne managériale exprime la même espérance. A la question « Que faire pour faciliter des relations sociales apaisées et efficaces? » les lignes managériales proposent d’« envoyer un signal fort au personnel en faisant la promotion de l’importance pour l’entreprise de l’engagement dans le CSE ». Les managers ajoutent que « Tout en restant ferme en cas de menace à laquelle il ne faut pas céder, la recherche d’un climat de confiance apparaît comme un levier important », qu’il faut développer « une attention particulière pour s’assurer du respect des personnes et de leur dignité, des représentants du personnel comme de l’ensemble du personnel ». Ils observent que « Beaucoup de personnes seraient prêtes à s’engager mais ne veulent pas avoir l’étiquette d’un syndicat » précisant toutefois que de nouveaux acteurs pourraient s’engager parce qu’avec « une communication claire, les personnes comprendront qu’elles ne seront pas pénalisées mais qu’au contraire elles participent à l’intérêt commun et qu’elles seront aidées si elles sont en difficulté ».
A ce sujet, les élus ne sont pas évalués sur la qualité de leur activité liée à leur engagement syndical, « il faudrait la prendre en compte pour gérer les carrières ». Il ressort également que la charge de travail est un frein important, et que «les personnes ont besoin d’être rassurées à ce sujet ». Enfin, un levier important d’apaisement serait un traitement systématique des irritants sociaux. Ce traitement des irritants au quotidien « permettra de traiter avec les IRP les sujets importants » et de ne plus s’affronter dans l’urgence. Sous un autre angle, les managers observent qu’ «un autre axe de travail pourrait être de développer une prise de conscience de ce que sont les relations sociales qui peuvent être au quotidien dans la relation de chacun avec la hiérarchie ». Dans cette entreprise de la métallurgie qui a connu de forts antagonismes ils ajoutent « Nous pourrions d’ailleurs avoir des objectifs sur les relations sociales et créer un comité de relations sociales qui prend les problématiques relations sociales, composé de managers et d’élus, qui traiterait des sujets ou en adresserait au COMEX selon seuil de décision ».
Restent bien entendu des personnes qui se complaisent dans les antagonismes, qu’il s’agisse d’élus ou de directions. Les premiers sont toujours ancrés dans l’idée que les directions ne réagissent qu’au rapport de forces, et les seconds restent convaincus qu’une gestion autocratique et solitaire est le seul salut de leur entreprise. Comme nous avons pu l’observer lors de nos travaux, une autre partie des directions, représentants du personnel, et lignes managériales, est en attente de relations sociales apaisées, responsables, participatives, sincères, honnêtes, qui prennent en compte l’intérêt de l’entreprise dont celui des salariés. Cette orientation renvoie aux évolutions des mentalités en matière de sécurité au travail. Il semble aujourd’hui naturel d’intégrer les éléments de sécurité dans les études de création d’un nouveau poste de travail. L’approche était toute autre il y à peine quelques dizaines d’années. Il s’agissait à l’époque de concevoir le nouveau poste en fonction des besoins de production puis d’étudier quels éléments de sécurité pouvaient être ajoutés sans limiter la productivité. Pour autant la productivité a augmenté. Il peut être fait le pari que l’efficience des entreprises va s’améliorer en sortant de ces antagonismes et en intégrant réellement le point de vue des salariés dans les prises de décision de la direction. Un exemple sur un point de détail concernant les relations sociales pour illustrer. Dans une relation antagoniste les représentants du personnel demandent à ce que l’ensemble des suppléants participent aux réunions du CSE. L’argument difficilement contestable est de leur permettre de se former et d’être à jour des dossiers quand ils doivent remplacer un titulaire absent. La direction qui voit là du temps payé non travaillé, prend appui sur la loi qui ne prévoit pas leur présence. La solution retenue, binaire, dépendra du rapport de force, alors qu’en réalité la présence à toutes les réunions de tous les suppléants ne répond pas en pratique au besoin de formation et de mise à jour. A l’inverse, la recherche sincère et commune, d’une réponse à ce besoin légitime des suppléants, amène à des solutions utiles comme par exemple l’octroi d’une à trois heures de délégation aux suppléants, et/ou leur participation aux réunions préparatoires, pour qu’ils puissent étudier les dossiers chaque mois, et leur présence par 1 à 3 à tour de rôle, pour qu’ils puissent voir comment se déroulent les réunions. Au final l’entreprise perd moins d’heures travaillées et l’objectif de formation et mise à jour est atteint. Le rapport de forces aura été inutile et la relation entre partenaires sociaux, direction et représentants du personnel, y aura gagné en confiance. Ce pari de la confiance qui relève de la défense de l’intérêt commun a conduit certaines entreprises à faire le pas vers le Conseil d’Entreprise. C’est une avancée compliquée pour les délégués syndicaux qui sont amenés à signer l’accord d’entreprise qui les prive de leurs prérogatives et prive leur syndicat de la visibilité liée à la négociation et signature d’accords. C’est aussi une avancée compliquée pour la direction qui accepte de soumettre certaines de ses décisions à l’accord des élus, au-delà du champ de la négociation obligatoire d’accords d’entreprises. Dans ces entreprises les partenaires sociaux s’inscrivent dans des relations sociales intégrées, la prise en compte de l’intérêt commun et par conséquent des décisions résolument collectives mais rapides et raisonnées pour ne pas gripper le fonctionnement de l’entreprise. Les enjeux sont très importants. Ces relations sociales sont de nature à faciliter l’adaptation permanente de l’entreprise, en évitant les risques psycho-sociaux liés aux inquiétudes et messages paradoxaux ou aux difficultés d’évolution des compétences. Il s’agit aussi de permettre à l’entreprise de réagir avec justesse aux perturbations d’un marché soumis au dumping social d’un concurrent peu éthique. Il est question enfin de faciliter la mobilisation positive, l’adhésion, l’engagement raisonné, de tous les acteurs, salariés, directions, actionnaires, fournisseurs, clients, pouvoirs publics, pour assurer la pérennité de l’entreprise, de ses emplois, et de sa création de richesse. Ces enjeux sont perçus dans les groupes de travail, mais nous observons que les premiers pas sont difficiles. Ils le sont d’autant plus que les auteurs de ces textes ne donnent pas l’exemple au niveau national. Le mouvement des gilets jaunes a donné l’image de pouvoirs publics qui géraient dans la plus pure tradition antagoniste historique, allant jusqu’à ignorer le dialogue avec les corps intermédiaires et notamment les syndicats de salariés. Au niveau local, de l’entreprise, se pose dès lors la question de la sincérité de cette réforme, qui pourrait n’être qu’une manipulation au désavantage des salariés ou du moins de leur représentation. Ces libertés nouvelles seront ce que les partenaires sociaux en feront dans les entreprises. Elles sont une opportunité de créer ou consolider, selon la maturité sociale de l’entreprise, des relations professionnelles collaboratives, qui sont de l’intérêt des directions comme des salariés et de notre économique et qualité de vie nationale. Ces relations reposent sur la confiance. Toute trahison renverra aux antagonismes historiques qui en sortiront renforcés. L’un des groupes de réflexion l’a exprimé très clairement en concluant que les représentants du personnel ont « un rôle de soutien de l’action tout en restant un contrepouvoir, une alerte entendue, en cas de dérive ».
Jacques Uso