Coronacrise et Gestion des RH – Contamination des relations employeur-salariés 1/2
25 mai 2020
C’est l’histoire d’un chamboulement mondial qui impacte l’équilibre social de chaque entreprise. Celle-ci et ses salariés peuvent en sortir grandis ou fragilisés, pour l’essentiel en fonction de la nature des relations qu’ils vont consolider entre eux. Ces choix vont peser durablement sur notre économie nationale. Sans aucun besoin de réforme de circonstance, le droit du travail donne les orientations à suivre pour renforcer ou retrouver la profitabilité.
Les premiers impacts du Covid-19 sur les entreprises
« Nous sommes en guerre ». Ces mots sont exprimés à six reprises. Ils sont choisis. Ils suscitent l’émotion, l’inquiétude, marquent les esprits. Un peu après 20h, le 16 mars 2020, le Président de la République, Chef des Armées, annonce ainsi le confinement qui commencera le lendemain à 12h. Il nomme le danger, installe la peur, promet la protection, attend la soumission à l’autorité qui protège. Cette soumission est totale. Toutes les personnes présentes sur le territoire respectent très rapidement ce qui relève habituellement d’une sanction pénale: l’assignation à résidence. C’est le degré de privation de liberté le plus élevé avant l’incarcération. Cette soumission a été durable. En témoigne le nombre infime de contraventions aux règles imposées pendant huit semaines. Il s’agit pourtant de ne se déplacer qu’en cas d’extrême nécessité, seul, ou pour faire un peu de sport, seul, moins d’une heure. Une promenade est autorisée entre confinés dans un même habitat, une fois par jour, moins d’une heure. Tout le reste est interdit, famille, amis, voisins, spectacles, loisirs, shoping, voyages, salles de sport, restaurants, bars, école, travail sauf exception, réunions politiques, syndicales, professionnelles, cultuelles, sociales, de partage, manifestations, rencontres, jardins partagés, actions citoyennes, même l’accompagnement des proches mourants. Ces restrictions extrêmes des libertés individuelles et collectives sont la réaction des pouvoirs publics, de l’autorité publique, à la montée d’une crise inédite, radicale et mondiale. Cette réaction a un impact sans précédent sur tous les aspects de notre société. Elle stoppe en moins de 24 heures l’activité de milliers d’entreprises et renvoie à leur domicile des millions de salariés.
La brutalité engendre la confusion et des entreprises qui ne se sont par reconnus parmi celles nécessaires à la continuité de la Nation ferment leurs ateliers ou arrêtent les chantiers. Puis rappellent les salariés. Ces salariés auxquels il est demandé de rester au travail s’inquiètent du risque de contamination. Certains font recours au droit de retrait. Leurs syndicats les soutiennent et les employeurs contraints par ordonnance de maintenir l’activité sont désemparés. Des salariés ne savent pas s’ils peuvent retourner sur leur lieu de travail pour récupérer des éléments physiques des dossiers qu’ils ont à traiter à leur domicile. Des employeurs hésitent à obliger des salariés à rester chez eux. La confusion dure une semaine au cours de laquelle progressivement chacun comprend s’il fait ou non partie des activités qui doivent se poursuivre. Dès le premier jour est imposé un télétravail massif. Les entreprises identifient dans l’urgence les ressources nécessaires et les mettent à disposition. Le télétravail s’organise, en famille, sans processus partagé, et pour la très grande majorité sans expérience sur laquelle s’appuyer. La deuxième semaine est celle du début de la résilience. Salariés et employeurs ne sont plus noyés dans l’urgence de la gestion du changement. La plupart a compris que la privation de liberté serait supérieure aux deux semaines annoncées initialement par l’autorité publique. L’heure est à organiser au mieux le travail dans cette nouvelle configuration. S’amplifie alors l’interrogation du risque de contamination des salariés qui doivent se rendre sur site. Très vite se pose la question des masques. L’autorité publique qui avait promis protection tergiverse. L’information est contradictoire. L’autorité publique ne protège pas. Les entreprises et les salariés cherchent des solutions alternatives. Certaines entreprises improvisent des ateliers de fabrication de masques. Les collaborateurs, la ligne managériale et les dirigeants vivent les doutes et la peur ensemble.
Redémarrer après une crise sanitaire
Il n’est pas envisageable en matière de relations professionnelles d’effacer ce qui a été vécu. Les relations entre employeur et salarié sont une fuite en avant qui capitalise sur les expériences passées. Elles prennent dès aujourd’hui nécessairement en compte cette expérience humaine inédite de l’urgence de la mise en confinement, du désordre qui s’en est suivi, de la peur commune. Au-delà, le redémarrage de l’activité sur notre territoire, interdépendant de celui de l’économie mondiale, va être nécessairement chaotique. Les entreprises vont avoir besoin de souplesse pour adapter leurs coûts et leur potentiel de production, sur une longue période. Les directions peuvent revenir à une politique de « stop and go » en licenciant pour motif économique aujourd’hui pour recruter le moment venu, d’abord en contrat précaire puis en CDI par contrainte du marché de l’emploi. Certains sont tentés, et des plans de licenciement comme variable majeure d’ajustement sont à l’étude. Ces décideurs jouent contre leur camp. L’amplification de la précarité et l’insécurité économique qui en résulterait ne peuvent que renforcer la régression de la consommation et des financements de biens dont la production tire traditionnellement notre économie, comme l’habitat ou l’automobile. Ce serait aggraver le risque de récession lié à une crise économique qui résulte à la fois d’un choc sur l’offre et la demande. Suivre ces orientations amplifie aussi la défiance des salariés, à l’opposé de la confiance nécessaire à leur engagement. Cette confiance est d’autant plus nécessaire que salariés comme employeurs vont être soumis à une exigence de créativité sociale et juridique. Cette autre politique vise à maintenir, voire développer, la sécurité de l’emploi, tout en ajustant les frais, y compris la masse salariale, aux capacités de l’entreprise. Il ne s’agit pas là d’une position dogmatique comme celles exprimées par certaines organisations patronales ou think tank qui voient dans la crise actuelle l’opportunité de faire légiférer pour obtenir une nouvelle réduction du coût horaire de travail. Ces positions sont du même niveau que celle d’une organisation syndicale qui remet en cause le rédemarrage d’une usine pour des questions de pure forme. Il s’agit de l’obligation de sortir des antagonismes historiques pour rendre effective la souplesse indispensable à la pérenité de l’entreprise et compatible avec les attentes légitimes des salariés. Nul besoin de réforme du droit social. Les solutions techniques sont en place. Elles supposent toutes une réelle négociation entre direction et représentants du personnel. C’est peut-être ce qui gêne certains acteurs, campés sur une vision passéiste des relations professionnelles.
Quelles solutions pour les entreprises ?
Une première solution, évidente, est de s’appuyer sur la loi Cherpion (C. trav., art. L. 8241-2). Pour réduire ses effectifs l’entreprise peut ainsi développer une politique de mobilité temporaire de ses salariés vers des entreprises en manque de personnel. Ce dispositif repose sur une convention entre les deux entreprises concernées et la signature d’un avenant au contrat de travail. L’employeur d’origine refacture le coût de son salarié à l’entreprise utilisatrice. L’entreprise d’accueil n’est pas soumise aux contraintes de motivation, de durée et de nombre de renouvellement attachées au CDD. L’intérêt pour toutes les parties prenantes à la bonne santé de notre économie est manifeste. Les salariés conservent leur emploi, leur niveau de rémunération et les avantages sociaux. Les entreprises gèrent au plus près leur masse salariale, et n’ont pas à investir dans le recrutement ou la formation en phase de reprise. Elles peuvent ajuster leurs effectifs en suivant les secousses de l’économie mondiale. Les finances publiques sont préservées par une réduction du volume de chômage partiel, et du chômage frictionnel. Enfin, peuvent être évités des licenciements économiques en masse qui initieraient l’effet domino catastrophique. Le congé de mobilité volontaire sécurisée (C. trav., art. L. 1222-12) s’inscrit dans la même logique. Il est toutefois réservé aux entreprises et groupes de plus de 300 salarié, s’articule autour d’une suspension du contrat de travail et organise la possibilité pour le salarié de ne pas réintégrer l’entreprise à l’issue de la mobilité. L’intérêt de ces dispositifs est tel, que la Banque Publique d’Investissements en a fait la promotion pendant le confinement, et que le gouvernement a mis en ligne des formulaires simplifiés. Les professions ne sont pas en reste et certains syndicats professionnels ont rapidement mis à disposition de leurs adhérents des plateformes de mises en relation entre entreprises en sureffectif et entreprises en manque de compétences. Pour autant le prêt de main d’œuvre, ou prêt de salarié, ou mise à disposition de salarié, reste confidentiel au regard de l’ampleur des besoins. Ces formulations utilisées le plus usuellement pour désigner ce dispositif illustrent la difficulté majeure de mise en œuvre. Le prêt et la mise à disposition véhiculent le message d’un acte unilatéral, voire celui d’un propriétaire, en contradiction avec la réglementation, qui exige un avenant au contrat de travail, et avec l’indispensable implication du salarié qui doit s’adapter à un nouvel environnement et faire confiance à son employeur pour garantir les bonnes conditions de son retour. Une formulation comme « Mobilité Temporaire Interentreprises » serait plus pertinente. Plus conforme au texte, elle ne crée pas de hiérarchie entre l’employeur et le salarié dans une décision qui doit être commune, et dont l’initiative peut revenir à l’un comme à l’autre. Une négociation avec les représentants du personnel peut faire de ce dispositif un élément majeur de la politique de l’emploi, en levant les doutes des salariés et en fixant un cadre en accord avec les besoins de l’entreprise.
Un deuxième dispositif permet de maîtriser la masse salariale sans avoir à notifier des licenciements pour motif économique. En application de l’article L 2254-2 du code du travail (loi du 5 septembre 2018), un accord de performance collective peut être signé « Afin de répondre aux nécessités liées au fonctionnement de l’entreprise ou en vue de préserver, ou de développer l’emploi ». Cet accord peut aménager la durée du travail, ses modalités d’organisation et de répartition et aménager la rémunération au sens de l’article L. 3221-3 dans le respect des salaires minima hiérarchiques. Les dispositions de ces accords s’imposent aux contrats de travail. Il n’est prévu ni garantie de rémunération, excepté le minima conventionnel, ni encadrement de leur baisse éventuelle. Il n’est pas non plus prévu de maintien de la qualification professionnelle ni de limites imposées à la mobilité géographique. Le salarié qui refuse fait l’objet d’un licenciement pour motif personnel. Il est par conséquent possible de réduire le temps de travail et les rémunérations, augmenter le temps de travail sans augmenter les rémunérations, réduire les rémunérations sans modifier le temps de travail, modifier l’aménagement du temps de travail en modifiant ou non les rémunérations. Un accord de performance collective peut ainsi être un puissant levier d’ajustement de la capacité de production et de la masse salariale. Sa durée d’application de cinq années est suffisante, à priori, pour assurer la gestion de l’entreprise sur l’ensemble de la phase de redémarrage, aussi chaotique soit-il. Rien n’interdit en effet de faire un accord dynamique qui prévoit les modalités qui s’appliquent en fonction des ondes de choc que reçoit l’entreprise et des phases de retour à meilleure fortune même temporaire.
Un troisième mécanisme peut être mise en place dans les entreprises pour réduire le nombre de licenciements pour motifs économiques. En effet, le télétravail sans discontinuité pendant près de deux mois et la remise en cause de certitudes par la découverte d’un risque sanitaire brutal et généralisé, ont amené des salariés à trouver ou souhaiter expérimenter de nouveaux équilibres. Le temps partiel (C. trav. art. L 3123-6), ou forfait réduit pour les personnes en forfait annuel en jours, peut-être une réponse à la fois à ces questionnements et aux besoins de l’activité de l’entreprise. La mise en place nécessite la signature d’un avenant au contrat de travail. Cet avenant peut être à durée déterminée. Un accord d’entreprise peut déterminer les critères d’accès au temps partiel, personnels mais aussi liés à au bon fonctionnement de l’entreprise, son cadre général, les conditions du renouvellement. Le temps partiel, organisé au niveau de l’entreprise, et non en réponse à une demande individuelle, peut ainsi contribuer pleinement à une politique de maintien dans l’emploi et de redéploiement économique.
Pourraient être rajoutés la gestion des salariés en fin de carrière ou la redéfinition, définitive ou temporaire, de tout ou partie du statut collectif des salariés rendu possible par la nouvelle hiérarchie des normes. En effet, au terme d’une évolution législative initiée en 1982 mais dont la première grande étape se situe en 2004, les entreprises peuvent aujourd’hui s’affranchir de l’essentiel des dispositions prévues aux conventions collectives. Le premier changement réellement important dans ce domaine date de la loi du 4 août 2004 qui permet, sous certaines conditions encore limitées, à l’accord de rang inférieur de déroger à un accord de rang supérieur. Dans le prolongement, les articles 2253-1 et 2253-3 du code du travail posent pour principe qu’un accord d’entreprise peut déroger à des conventions de branche ou accords professionnels ou interprofessionnels dans un sens moins favorable au salarié. La loi no 2008-789 du 20 août 2008 est venue préciser que l’accord d’entreprise était prioritaire sur l’accord de branche, pour la plupart des dispositions relatives à l’aménagement pluri hebdomadaire du temps de travail et aux heures supplémentaires. Enfin, Les ordonnances de septembre 2017 sont venues compléter ce dispositif. A l’exception de très rares sujets réservés aux accords de branche, il est possible par accord d’entreprise de définir l’essentiel du statut collectif des salariés, dans un sens moins favorable que les normes supérieures et, dans le cadre des accords de performance collective, moins favorables que le contrat de travail pour la rémunération comme pour le temps de travail. S’agissant des quelques sujets réservés à l’accord de branche l’article L 2253-1 du code du travail précise qu’il peut y être dérogé par accord d’entreprise sous réserve qu’il apporte des garanties au moins équivalentes à l’ensemble des garanties se rapportant au même objet. Il y a là une porte largement ouverte à des adaptations dans l’entreprise avec une grande difficulté de comparaison du niveau de garanties.