L’égalité de traitement entre salariés 1/2
17 juin 2019
L’égalité de traitement entre salariés est à la fois une obligation juridique et une qualité managériale. Au-delà, la prise en compte d’une réalité objective peut justifier des mesures visant à rétablir l’égalité des chances. Mais dans ce domaine, comme dans bien d’autres, le mieux peut se révéler l’ennemi du bien.
L’égalité entre les personnes, et par conséquent entre les salariés est un droit fondamental proclamé aussi bien par la Déclaration des droits de l’Homme de 1789 que par la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. La règle « à travail égal, salaire égal » qui en découle est énoncée incidemment par deux articles du Code du travail. Le premier de ces textes concerne les conditions à remplir par une convention de branche pour être susceptible d’extension (1). Le second énumère les attributions de la commission nationale de la négociation collective, de l’emploi et de la formation professionnelle qui doit, en particulier, « suivre annuellement l’application dans les conventions collectives du principe à travail égal, salaire égal » (2).La Cour de cassation a posé ce principe en règle impérative en retenant « qu’il s’en déduit que l’employeur est tenu d’assurer l’égalité de rémunération entre tous les salariés de l’un ou l’autre sexe, pour autant que les salariés en cause sont placés dans une situation identique » (3). Le principe « à travail égal, salaire égal » signifie que si rien ne distingue objectivement deux salariés, ils doivent percevoir le même salaire (4). Cela vaut également pour les accessoires de rémunération. La Cour de cassation a très vite dépassé le seul thème des salaires pour viser l’égalité de traitement, entendue au sens large, c’est-à-dire englobant l’ensemble des droits individuels et collectifs qu’ils soient financiers ou non, accordés aux salariés en raison de leur appartenance à l’entreprise. La discrimination n’est pas une forme particulière d’inégalité de traitement et les deux notions ne se recouvrent pas. Il y a discrimination si le traitement défavorable infligé au salarié est fondé sur l’un des motifs prohibé par les textes et notamment l’article L. 1132-1 du Code du travail (par exemple origine, sexe, âge, convictions religieuses). L’existence d’une discrimination n’implique pas nécessairement une comparaison avec la situation d’autres salariés » (5). A l’inverse, l’application d’un principe d’égalité de traitement implique, par principe, d’opérer une comparaison entre le salarié qui s’estime victime d’une violation de ce principe et un autre salarié placé dans une même situation (6) à charge de celui qui invoque une atteinte au principe d’égalité de traitement de démontrer qu’il se trouve dans une situation identique ou similaire à celui auquel il se compare (7). Une exception à cette règle est toutefois admise lorsque la différence de traitement résulte expressément de la norme qui l’institut. Ainsi, « lorsque la différence de traitement entre des salariés placés dans une situation identique au regard de l’avantage considéré résulte des termes mêmes de l’accord collectif, il y a lieu de faire application du principe d’égalité de traitement sans recourir nécessairement à une comparaison entre salariés de l’entreprise effectuant le même travail ou un travail de valeur égale » (8). Le principe d’égalité de traitement interdit les mesures discrétionnaires que des employeurs pourraient être tentés de mettre en œuvre. Il a ainsi été jugé que « les augmentations individuelles ne peuvent être accordées de manière purement discrétionnaire et doivent correspondre à des critères objectifs et vérifiables » (9) étant précisé que la seule allégation de la médiocrité du travail du salarié n’est pas reconnue suffisante pour justifier le non-paiement d’une prime collective à un salarié (10). Une convention collective ne justifie pas davantage une mesure discrétionnaire. Dans cette affaire, une agence de tourisme avait décidé d’attribuer un 13ième mois aux accompagnateurs et aux guides-accompagnateurs, la convention collective indiquant que les entreprises devaient s’efforcer « dans la mesure du possible d’accorder une gratification annuelle à tout ou partie de leur personnel ayant au moins six mois d’ancienneté ». La Cour de cassation, donne raison aux autres salariés réclamant le même avantage en précisant «qu’il appartenait à l’employeur de justifier la décision de ne le verser qu’à une seule partie des salariés de l’agence » (11). Il en est de même des bonus discrétionnaires fréquemment prévus au contrat de travail. Il a en effet été jugé que « l’employeur ne peut opposer son pouvoir discrétionnaire pour se soustraire à son obligation de justifier, de façon objective et pertinente, une différence de rémunération » (12), ce qui ne remet pas en cause le fait que l’employeur peut parfaitement verser des bonus discrétionnaires sans s’appuyer sur des critères objectifs préalablement déterminés (13). Le bonus est discrétionnaire vis-à-vis de l’intéressé, mais ne doit pas rompre le principe d’égalité de traitement de salariés placés dans la même situation.
Egalité de traitement ne veut pas dire égalitarisme et la réalité de l’entreprise peut être prise en compte. L’employeur peut justifier un écart de rémunération entre des salariés ayant un travail égal ou de valeur égale en invoquant une différence portant sur les responsabilités et la charge de travail du salarié mieux rémunéré (14) ou la meilleure connaissance d’un site à surveiller s’agissant d’un agent de sécurité incendie (15). Les diplômes peuvent également justifier une différence de salaire entre ingénieurs, certains ayant bénéficié d’une formation moins généraliste et immédiatement en phase avec l’activité de l’entreprise (16). La qualité du travail fourni peut bien entendu être une explication de la différence de traitement (17) mais encore faut-il pouvoir démontrer qu’elle est différente entre deux salariés. Les compte rendus d’entretiens d’évaluation ou l’historique de tout système d’évaluation seront ici déterminants (18). Il a également été jugé qu’un employeur est fondé à moins bien rémunérer une salariée s’il prouve qu’elle a connu tout au long de sa carrière des difficultés relationnelles et des insuffisances d’ordre technique (19) ou encore des difficultés à travailler en équipe ou à s’intégrer, le refus de se plier aux directives données (20). L’ancienneté ou l’assiduité sont également des critères objectifs (21) sous réserve qu’ils ne soient pas pris en compte par ailleurs par une prime d’ancienneté ou d’assiduité (22). La réalité du marché de l’emploi est également prise en considération et une différence de salaire est admise en cas de pénurie de candidats (23) y compris entre la salariée remplaçante et la titulaire absente temporairement (24). Enfin, il a été jugé qu’une différence de rémunération ou d’avantages sociaux pouvait être maintenue suite à la fusion de deux sociétés, en raison de l’antériorité des différences des statuts collectifs (25), la question étant le plus souvent réglée par un accord d’harmonisation sociale. Concernant les accords, la seule circonstance que les salariés aient été engagés avant ou après l’entrée en vigueur d’un accord collectif ne suffit pas à justifier une différence de traitement sauf si l’accord réserve un avantage aux salariés présents lors de son entrée en vigueur, afin de compenser un préjudice subi par ces derniers (26), ou si l’employeur démontre qu’il existe des raisons objectives et pertinentes à cette différence de rémunération, autre, que l’accord lui-même (27), raisons qui peuvent par exemple tenir à la formation, aux fonctions, à l’ancienneté (28). Est acceptée par conséquent la différence de salaire à l’embauche d’un salarié après la mise en œuvre d’un accord de réduction du temps de travail prévoyant un maintien de salaire par le biais d’une indemnité différentielle de réduction du salaire de base des salariés en place (29), ou une indemnité différentielle compensant, pour certains salariés, le passage d’un salaire au pourcentage à un salaire fixe (30). En revanche, lorsqu’un employeur s’engage par simple volonté contractuelle à maintenir leur statut collectif aux salariés repris, les salariés ultérieurement embauchés dans la même entité et qui effectuent des travaux de même valeur ont droit à ces avantages collectifs (31).
Le principe d’égalité de traitement apparaît ainsi comme un principe réaliste et pragmatique. Il est respecté par l’entreprise quand les mêmes processus et les mêmes critères de décisions s’appliquent à l’ensemble des salariés, peu important qu’au final il en résulte une situation différente entre les salariés. La seule obligation juridique est d’être en capacité d’expliquer la différence, ce qui en soi est également une règle managériale saine, de nature à préserver l’équité et par conséquent à favoriser la confiance nécessaire à l’engagement des salariés. Ce principe ne vise pas à créer un avantage au bénéfice d’une population considérée comme défavorisée. Ce point a été rappelé à plusieurs reprises notamment en matière d’égalité des sexes. Plusieurs directives communautaires consacrent l’égalité de traitement entre les hommes et les femmes. L’article 119 du Traité de Rome pose plus particulièrement la règle de l’égalité des rémunérations entre travailleurs masculins et travailleurs féminins pour un même travail ou un travail de même valeur. Ces textes ont suscité un débat médiatisé sur le travail de nuit des femmes qui a amené la France à renoncer, au nom de l’égalité de traitement, à la prohibition du travail de nuit des femmes. Ils ont aussi amené à juger illicite de réserver aux seules femmes les majorations de trimestres par enfant élevé, prévues à l’article L. 351-4 du Code de la sécurité sociale (32). Il a aussi été jugé que les primes de crèche, allocations de frais de garde ou allocation de naissance ne peuvent être réservées au seul personnel féminin car cette allocation constitue un complément de rémunération visant à indemniser le salarié des dépenses liées à la présence d’un enfant au foyer, dépenses auxquelles l’homme doit faire face au même titre que la femme (33). Toujours en application de ce principe, la Cour de cassation a étendu à un homme le bénéfice de dispositions du statut de la RATP réservées aux femmes (34). Bien que principe juridique reconnu et appliqué dans de très nombreux jugements, le législateur considère que l’égalité de traitement n’est pas réellement appliquée entre les salariés de sexe différent et ce au détriment des femmes. De nombreux textes se sont par conséquent succédés, annonçant chacun la volonté de rendre effective l’égalité professionnelle entre les hommes et les femmes. La loi no 2006-340 du 23 mars 2006 relative à l’égalité salariale entre les hommes et les femmes, la loi no 2010-1330 du 9 novembre 2010, portant réforme des retraites, la loi no 2014-873 du 4 août 2014 dite « pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes », la loi no 2015-994 du 17 août 2015, et en dernier lieu la loi no 2018-771 du 5 septembre 2018 « pour la liberté de choisir son avenir professionnel ». Considérant que la situation n’a pas suffisamment évolué depuis la loi de 2006, le dernier texte fait désormais du respect de l’égalité professionnelle entre les hommes et les femmes une « obligation de résultat ». Les motivations de ce texte et certaines des mesures qu’il met en place pose la question de savoir s’il s’agit toujours pour les entreprises de s’assurer de l’égalité de traitement entre leurs salariés. Ce texte renvoi en réalité à un principe complémentaire à celui d’égalité de traitement dont les contours ont été initiés par la jurisprudence.
1. C. trav., art. L. 2261-22
2. C. trav., art. L. 2271-1
3. Cass. soc., 29 oct. 1996, no 92-43.680
4. Cass. soc., 15 déc. 1998, no 95-43.630, Bull. civ. V, no 551 ; Cass. soc., 10 oct. 2000, no 98-41.389 ; Cass. soc., 20 juin 2001, no 99-43.905
5. Cass. soc., 29 juin 2011, no 10-14.067
6. Cass. soc., 13 févr. 2013, no 11-25.828
7. Cass. soc., 4 avr. 2018, no 16-27.703
8. Cass. soc., 23 mars 2011, no 09-42.666
9. Cass. soc., 20 oct. 2001, no 90-17.577
10. Cass. soc., 26 nov. 2002, no 00-41.633
11. Cass. soc., 25 mars 2009, no 08-41.229
12. Cass. soc., 30 avr. 2009, no 07-40.527
13. Cass. soc., 10 oct. 2012, no 11-15.296
14. Cass. soc., 30 avr. 2009, no 07-40.527 ; Cass. soc., 23 mars 1999, no 96-43.767).
15. Cass. soc., 16 févr. 2005, no 03-40.465
16. Cass. soc., 24 mars 2010, no 08-42.093
17. Cass. soc., 8 nov. 2005, no 03-46.080
18. Cass. soc., 20 févr. 2008, no 06-40.085 ; Cass. soc., 20 févr. 2008, no 06-40.615
19. Cass. soc., 28 juin 2000, no 98-41.278
20. Cass. soc., 20 févr. 2008, no 06-40.085 ; Cass. soc., 20 févr. 2008, no 06-40.615
21. Cass. soc., 20 juin 2001, no 99-43.905
22. Cass. soc., 29 oct. 1996, no 92-43.680 ; Cass. soc., 31 oct. 2006, no 02-45.480
23. CJCE, 27 oct. 1993, aff. C-127/92, Enderby
24. Cass. soc., 21 juin 2005, no02-42.658
25. Cass. soc., 28 oct. 2008, no 07-42.720
26. Cass. soc., 21 févr. 2007, no 05-43.136
27. Cass. soc., 4 févr. 2009, no 07-11.884
28. Cass. soc., 4 févr. 2009, no 07-41.406
29. Cass. soc., 1er déc. 2005, no 03-47.197
30. Cass. soc., 31 oct. 2006, no 03-42.641
31. Cass. soc., 19 juin 2007, no 06-44.047)
32. Cass. 2e civ., 19 févr. 2009, no 07-20.668, Bull. civ. II, no 53
33. Cass. soc., 27 févr. 1991, no 90-42.239; Cass. soc., 8 oct. 1996, no 92-42.291, , Cass. soc., 9 avr. 1996, no 94-43.279
34. Cass. soc., 18 déc. 2007, no 06-45.132).