L’égalité de traitement entre salariés 2/2
17 juin 2019
Le principe d’égalité entre hommes et femmes, qui doivent bénéficier à ce titre de mesures identiques, suppose que les travailleurs masculins et féminins se trouvent dans des situations comparables. A ce titre, la directive no 76/207 du 9 février 1976 prévoit que le principe d’égalité ne fait pas obstacle « aux dispositions relatives à la protection de la femme, notamment en ce qui concerne la grossesse et la maternité ». La Cour de justice des Communautés européennes a ainsi considéré qu’était licite une prime réservée aux femmes, versée au moment du départ en congé de maternité et destinée à « compenser les désavantages professionnels résultant pour les travailleurs féminins de leur éloignement du travail » (35). La Cour de justice des Communautés européennes, et la Cour de Cassation font par conséquent la différence entre d’une part une prime de naissance, qui ne peut pas être réservée à la mère puisque l’arrivée de l’enfant dans le foyer commun concerne les deux parents, ou une journée de congé pendant la fête des mères, et une prime versée lors du départ en congé maternité qui ne concerne alors que les femmes puisqu’elles sont les seules à être contraintes à un arrêt de travail (36). Les magistrats ont ainsi accepté une rupture de l’égalité en faveur des femmes parce que la dérogation était justifiée en raison de la grossesse et de la maternité qui créent une contrainte professionnelle que ne subit pas l’homme en l’état actuel de la biologie. Les deux salariés n’étaient pas dans la même situation et la différence de traitement était conforme au principe d’égalité de traitement. Néanmoins, la Cour de justice des Communautés européennes s’est très tôt sentie à l’étroit dans ce principe. Elle a ainsi accepté une priorité d’embauche en faveur des candidats de sexe féminin dans des corps administratifs où les femmes étaient sous-représentées, sans exiger pour autant que cette inégalité de traitement soit justifiée par des contraintes naturelles féminines spécifiques (37). Par ailleurs, Le traité d’Amsterdam, entré en vigueur le 1er mai 1999, a renforcé cette évolution en introduisant dans les textes européens ce qui est aujourd’hui l’article 157 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne qui « pour assurer concrètement une pleine égalité entre hommes et femmes dans la vie professionnelle » précise que « le principe de l’égalité de traitement n’empêche pas un État membre de maintenir ou d’adopter des mesures prévoyant des avantages spécifiques destinés à faciliter l’exercice d’une activité professionnelle par le sexe sous-représenté ou à prévenir ou compenser des désavantages dans la carrière professionnelle”. Il résulte de ce texte et de la directive plus récente 2006/54/CE du 5 juillet 2006 du Parlement européen et du Conseil « relative à la mise en œuvre du principe de l’égalité de traitement entre hommes et femmes en matière d’emploi et de travail », que l’octroi de mesures favorables aux femmes en raison de la grossesse et de la maternité ne doit plus être apprécié au titre des discriminations positives mais être considéré comme la simple application de la stricte égalité de traitement puisque, par définition, la grossesse et la maternité ne concernent que les femmes. Dès lors, les discriminations positives relèvent nécessairement d’autres considérations, relatives au rétablissement de l’égalité des chances en matière économique et sociale. En effet, dans certains cas, il est possible d’opérer des différences de traitement au seul bénéfice d’une catégorie particulière de salariés, soit pour des raisons d’intérêt général, soit pour corriger une situation de fait qui leur est défavorable (C. trav., art. L. 1133-2 et s.). Les applications sont nombreuses pour prendre en compte l’état de santé et les situations de handicap, ou en matière de protection des jeunes et des travailleurs âgés. Il s’agit pour ces dispositions de faciliter directement l’embauche ou le maintien dans l’emploi. Toutefois, en application des mêmes textes, il a été jugé en 2017 qu’un accord d’entreprise peut prévoir au seul bénéfice des salariés de sexe féminin une demi-journée de repos à l’occasion de la journée internationale de la femme, dès lors que cette mesure vise à établir l’égalité des chances entre les hommes et les femmes en remédiant aux inégalités de fait qui affectent les chances des femmes » (38). Il est ainsi jugé que, si la journée du 8 mars dépasse largement le périmètre du travail des femmes dans les entreprises, elle le concerne aussi très directement. Les manifestations permettent de susciter une réflexion sur la situation spécifique des femmes au travail et sur les moyens de l’améliorer. Il existe dès lors un lien entre cette journée et les conditions de travail. Il ne s’agit plus de lever les freins qui pèsent directement sur une embauche, ou un maintien dans l’emploi, une promotion, une formation, mais de participer à un changement culturel de la société civile.
L’entreprise devait assurer l’égalité de traitement entre ses salariés, puis effacer les déséquilibres qui créaient une inégalité de chances. Comme l’illustre l’arrêt sur la journée du 8 mars, l’entreprise doit maintenant contribuer au changement culturel de la société civile, et ceci à marche forcée. Les modalités de calcul et le barème des indicateurs de l’égalité entre les femmes et les hommes en entreprise sont détaillés par le décret n°2019-15 du 8 janvier 2019. Deux dispositions méritent une attention particulière. L’entreprise pourra être pénalisée si le taux d’augmentation individuelle et le taux de promotion entre les femmes et les hommes (pour les entreprises de plus de 250 salariés) n’est pas identique. L’entreprise doit par conséquent respecter une obligation de résultat en matière d’évolution des rémunérations. Il ne s’agit plus d’être en mesure d’expliquer pourquoi deux salariés n’ont pas la même augmentation individuelle ou la même promotion mais de faire en sorte que deux groupes de salariés bénéficient strictement de la même évolution. La même logique a présidé aux dispositions en matière de constitution des listes électorales. Ce sujet est particulièrement d’actualité dans le cadre des nombreuses élections de mise en place des CSE. Parmi les entreprises que nous accompagnons, nous avons pu observer à plusieurs reprises l’impossibilité pour les organisations syndicales de respecter la parité homme/femme dans la constitution de leurs listes électorales, malgré leurs efforts assidus. Cette parité étant d’ordre public il s’en suit que des sièges ne sont pas pourvus. Il a donc été créé une hiérarchie entre d’une part la lutte contre un déterminisme social qui conduirait les femmes à être moins candidates aux élections professionnelles, et la représentation du personnel qui deviendrait ainsi secondaire et pour laquelle une dégradation est acceptée. Les dispositions récentes relatives à l’égalité de rémunération entre les femmes et les hommes peuvent être également à l’origine de dérives nocives. L’enjeu est important pour les entreprises puisqu’il est question d’une pénalité égale à 1% de la masse salariale, mais aussi de l’opprobre des clients pour les marques grand public, d’être jeté en pâture par les médias, ou de tensions sociales si la politique sociale n’est plus considérée équitable. Elles doivent donc faire en sorte que les taux d’augmentation individuelle et de promotion soient identiques ou très proches. Les entreprises vont par conséquent être tentées de faire de l’écrêtage pour respecter la parité exigée et ne plus appliquer le principe d’égalité de traitement, au bénéfice de la lutte contre les conséquences d’un déterminisme social. Il s’agit de gérer deux groupes en parallèle en les comparant, en freinant l’un pour éviter la création d’un écart avec l’autre, ce qui est nécessairement source d’antagonismes et de renforcement du communautarisme. En effet à quel titre ne pas appliquer la même logique pour les autres groupes présents dans l’entreprise. Il peut être question bien entendu, que ce soit vrai ou supposé, des rémunérations freinées en raison de l’activité syndicale, des orientations sexuelles, de la religion ou des origines. Il peut aussi s’agir de salariés dont les codes sociaux qui leur ont été transmis font qu’ils s’expriment peu, ne réclament pas, mais sont dévoués et bons professionnels. Ceux-là ont moins de chances d’être promus que ceux, parfois moins bons professionnels, qui savent se valoriser. Tous ces groupes pourraient être légitimes à demander le bénéficie de cette obligation de résultat en matière d’augmentations individuelles et de promotions. L’inégalité de traitement, en général, et particulièrement entre les femmes et les hommes est inacceptable. C’est aussi une erreur managériale. De même, les inégalités de chances doivent être prises en compte. Là n’est pas le sujet. L’obligation faite aux entreprises d’être impliquées dans la lutte contre les conséquences d’un déterminisme social peut avoir des effets nocifs. Les directions devront prendre en compte ce risque pour éviter un renforcement des revendications communautaristes qui peuvent rendre les entreprises ingérables. Michel ONFRAY attire l’attention sur le fait que notre « notre époque égalitariste confond l’inégalité et la différence » (39). Espérons que les derniers textes ne nous aient pas enfermés dans ce piège et que ce nouveau risque social soit justifié par un enjeu supérieur. En effet assurer l’égalité de traitement dans les processus de recrutement, augmentation, promotion, formation, ou rééquilibrer l’inégalité des chances comme vu précédemment, peut se faire par des éléments objectivement vérifiables. La nature et l’importance de la contribution à apporter à la lutte contre les conséquences d’un déterminisme social dépendent de la vision que l’on a de la force et de l’iniquité de ce déterminisme. Encore faut’ il aussi que la réponse soit adaptée à une réalité clairement identifiée. En tête le souvenir d’un échange avec ce jeune ouvrier qui refuse poliment une promotion et une belle perspective de carrière, en expliquant qu’il ne veut pas renoncer à son équilibre de vie. Déterminisme social ? Choix conscientisé ? Libre arbitre ? A quel degré ?
Jacques Uso
35. CJCE, 16 sept. 1999, aff. C-218/98
36. CJCE 25 oct. 1988, aff. 321/86, et Cass. soc., 21 mars 2000, no 98-45.485 à no 98-45.490
37. CJCE 17 oct. 1995, aff. C-450/93, et 11 nov. 1997, aff. C-409/95
38. Cass. soc., 12 juill. 2017, no 15-26.262
39. “Sagesse”, éditions Albin Michel/Flammarion, p 36