Mise en place des CSE et Conseils d’Entreprise, enjeux et partage d’expériences 1/2
6 septembre 2019
Les textes qui créent le CSE et le Conseil d’Entreprise sont une promesse de démocratie en entreprise. Ils s’inscrivent dans une évolution de la vision des relations sociales dans laquelle il est nécessaire de les situer pour en comprendre la portée. Les expériences auxquelles nous avons participé montrent que les attentes sont fortes aussi bien du point de vue des directions, que des représentants du personnel ou que de l’encadrement. Restent les peurs initiales et un manque d’exemplarité nationale qui fragilisent la consolidation à venir d’un processus aux enjeux majeurs.
Historique des règlementations du travail
1841. La France est gouvernée par le roi Louis-Philippe dans le cadre d’un régime parlementaire. Les corporations, les coalitions, les grèves, sont interdits depuis un demi-siècle, par le décret D’Allarde et la loi Le Chapelier. La révolte des Canuts est une histoire ancienne de plus de 10 années. En pleine Révolution industrielle, les enfants travaillent dans les mines et dans les usines. Main d’œuvre peu chère et reléguée aux tâches subalternes, les enfants sont souvent victimes de maltraitances. Suite à la publication de ses travaux par le docteur Villerme « Tableau de l’état physique et moral des ouvriers », des débats s’engagent sur la règlementation du travail des enfants. Le 22 mars 1841 est votée la loi interdisant le travail des enfants de moins de 8 ans dans les entreprises de plus de 20 salariés. La loi fixe également une durée maximale de travail : 8 heures par jour pour les enfants de 8 ans à 12 ans ; 12 heures jusqu’à 16 ans. Enfin, elle interdit le travail de nuit jusqu’à 12 ans. Cette loi est considérée comme la première encadrant le travail en France. C’est un texte de protection du prolétariat qui n’a pas le droit d’organiser la défense de ses intérêts. Il faudra attendre le 25 mai 1864 pour que la loi Ollivier remette en cause 73 années d’interdiction absolue du syndicalisme, les syndicats restant interdits, mais leurs fondateurs n’étant plus passibles de répression pénale. Les syndicats seront légalisés 20 ans plus tard par la loi Waldeck-Rousseau du 21 mars 1884. Cette nouvelle liberté donne rapidement naissance aux bourses du travail, au syndicat des employés du commerce et de l’industrie (précurseur de la CFTC créée en 1919), puis à la CGT par son congrès constitutif de 1895. Des scissions ultérieures sont à l’origine de FO (1947) et de la CFDT (1964). L’histoire du syndicalisme est émaillée de luttes visant à améliorer la condition du salariat. La lutte se fait contre le patronat et parfois le pouvoir politique. Cet antagonisme est consubstantiel au mouvement syndical et est inscrit plus ou moins clairement dans les actes fondateurs des syndicats. Ainsi la Charte d’Amiens (1906) adoptée au congrès de la CGT proclamait la lutte quotidienne pour des améliorations immédiates mais aussi la lutte pour la disparition du salariat et du patronat. Le mouvement a été accompagné par le législateur qui a créé l’inspection du travail en 1892, le code du travail en 1910, les délégués du personnel et le comité d’entreprise en 1936 et 1945, la section syndicale d’entreprise en 1968. Les avancées sociales ont également été actées dans les conventions collectives, les accords interprofessionnels, les accords d’entreprise. Le repos hebdomadaire, les congés payés, la durée du travail, la sécurité, les conditions de travail, la prévoyance, le SMIG puis le SMIC, les minima conventionnels, les primes de sujétion, sont le résultat de cette relation antagoniste, qui a souvent fait appel au rapport de forces. Il s’agissait d’obtenir de nouveaux avantages aux salariés. Le principe de faveur garantissait que le rapport de forces local ne pouvait pas aboutir à des mesures moins favorables aux salariés que celles définies par la norme supérieure. Les contours de ce principe étaient protégés par le législateur et la jurisprudence. Dans ce contexte, les accords d’entreprise pouvaient être minoritaires et la représentativité des syndicats, et de leurs signataires dans l’entreprise, n’était pas un enjeu. L’employeur qui engageait ou acceptait une négociation, et proposait au final un accord d’entreprise à la signature des délégués syndicaux, ne pouvait, en effet, être que mieux disant. Ces relations sociales basées sur le schéma demande/résistance ont alimenté l’antagonisme fondamental entre salariés et employeurs. Les évolutions se sont faites au gré des équilibres du rapport de forces.
La règlementation des CSE et Conseils d’Entreprise en France
2019. La France est gouvernée par un Président élu au suffrage universel, dans le cadre d’une République. De nombreux responsables qui ont participé aux luttes historiques, ou leurs proches, sont présents aujourd’hui dans les syndicats et les entreprises. Des personnes vivant encore aujourd’hui ont croisé des ascendants nés en 1884, l’année de la loi Waldeck-Rousseau. Il y a bientôt deux années le gouvernement a légiféré par ordonnances, une procédure d’urgence qui limite les débats, pour engager une réforme approfondie de la représentation du personnel et de la négociation sociale. Exit les délégués du personnel. Exit le Comité d’Entreprise. Exit le Comité d’Hygiène Sécurité et Conditions de travail. Exit le principe de faveur. Les symboles majeurs des antagonismes historiques ne sont plus. Ces textes s’inscrivent dans une évolution législative dont la première tentative peut être située à l’ordonnance du 16 janvier 1982, autorisant un accord collectif à mettre en œuvre, dans les conditions très restreintes, une solution moins favorable que la loi. La mise en pratique a été très confidentielle. Le premier changement réellement important dans ce domaine date de la loi du 4 août 2004 qui permet, sous certaines conditions encore limitées, à l’accord de rang inférieur de déroger à un accord de rang supérieur. Dans le prolongement, les articles 2253-1 et 2253-3 du code du travail posent pour principe qu’un accord d’entreprise peut déroger à des conventions de branche ou accords professionnels ou interprofessionnels dans un sens moins favorable au salarié. Quelques domaines sont toutefois protégés comme les minimas salariaux, les classifications, ou les dispositifs de prévoyance. En revanche, il est possible de négocier par exemple sur l’indemnité de fin de contrat, la fixation de la période d’essai ou la suppression de l’indemnité de fin de mission dans le travail temporaire, la dérogation au repos quotidien, la dérogation à la durée du travail, le contingent d’heures supplémentaire, les taux de majoration des heures supplémentaires, la réduction du délai de prévenance. La loi no 2008-789 du 20 août 2008 est venue préciser que l’accord d’entreprise était prioritaire sur l’accord de branche, pour la plupart des dispositions relatives à l’aménagement pluri hebdomadaire du temps de travail et aux heures supplémentaires. La loi du 14 juin 2014 a ouvert la possibilité par accord d’entreprise de réduire pour une durée de trois années la rémunération prévue aux contrats de travail. Au terme de cette construction un accord d’entreprise peut prévoir des dispositions moins favorables aux salariés qu’un accord de branche, voire imposer au salarié des mesures concernant le temps de travail et la rémunération moins favorables que celles prévues à son contrat de travail. Les ordonnances Macron de septembre 2017 sont venues compléter ce dispositif. A l’exception de très rares sujets réservés aux accords de branche, il est possible par accord d’entreprise de définir l’essentiel du statut collectif des salariés, dans un sens moins favorable que les normes supérieures et que le contrat de travail pour la rémunération comme pour le temps de travail. S’agissant des quelques sujets réservés à l’accord de branche l’article L 2253-1 du code du travail précise toutefois qu’il peut y être dérogé par accord d’entreprise sous réserve qu’il apporte des garanties au moins équivalentes à l’ensemble des garanties se rapportant au même objet. Il y a là une porte largement ouverte à des adaptations dans l’entreprise avec une grande difficulté de comparaison du niveau de garanties.