Réforme du code du travail 2017 : quelles perspectives pour les entreprises ? (2/2)
20 septembre 2017
L’étape suivante est le renforcement des actions engagées pour faciliter la professionnalisation et la protection des représentants du personnel.
Anticiper le risque de discrimination
La discrimination est bien entendu inacceptable, mais l’abus de protection l’est tout autant. Le sujet prendra de l’ampleur avec la professionnalisation et l’élargissement des compétences des représentants du personnel. Les directions devront veiller à la plus grande rigueur en matière de gestion du personnel. En effet, la charge de la preuve est inversée en matière de discrimination et l’on voit se développer une pratique qui consiste à saisir le juge sur le simple constat qu’il existe une différence entre la rémunération d’un représentant du personnel et la moyenne mathématique des rémunérations des autres salariés du même métier, ou presque, recrutés concomitamment, ou presque, sans autre élément pouvant laisser supposer l’existence d’une discrimination. Ce sophisme qui défie les lois de la statistique, en particulier pour les petites populations, sensibilise les magistrats et est bien difficile à combattre. L’employeur doit identifier à quels moments la divergence s’est concrétisée et apporter les éléments factuels l’expliquant, en raison d’une différence, dans l’exercice de la mission professionnelle, de comportement ou de compétences.
Ceci suppose que la ligne hiérarchique et/ou la fonction R.H. aient assuré une traçabilité de toutes leurs décisions, aussi bien en matière de rémunération, que de classification, formation, mutation, politique de mobilité professionnelle. Cette traçabilité s’impose pour tout salarié puisque, par définition, il n’est pas possible de savoir quel est celui qui va accéder à un mandat de représentation. Une réflexion s’impose, aujourd’hui, dans les directions des ressources humaines pour imaginer un dispositif de traçabilité pertinent. Dans le cadre d’un dialogue social collaboratif, ce dispositif pourrait être arrêté de manière concertée, voire faire partie d’un accord sur le dialogue social.
Pour clore ce sujet de la nature des relations sociales, retenons que le pouvoir politique est lucide et l’étude d’impact précise : « Par ailleurs, les modifications législatives ne suffiront pas à elles seules à modifier des décennies de pratiques. Il conviendra d’accompagner ce mouvement de nombreuses initiatives, non réglementaires, qui permettront d’installer durablement une culture de la négociation et de la concertation dans le pays, notamment en matière de formation aux techniques de médiation, tant en direction des chefs d’entreprise et managers que des représentants du personnel ». Une première avancée que pourraient tenter les directions d’entreprises, serait de s’inscrire dans l’article L 2212-1 du code du travail, disposition créée par la loi El Khomri, et de proposer à leurs partenaires dans l’entreprise de suivre une formation commune visant à améliorer leur dialogue social. Les tentatives en ce sens des directions d’entreprises que nous accompagnons et des partenaires en place ont eu un accueil contrasté, ce qui est un premier indicateur de la maturité de leurs relations sociales.
Vigilance concernant les risques psychosociaux
Au-delà de l’organisation du pouvoir de créer des normes données aux partenaires sociaux, la réforme s’intéresse à des sujets très spécifiques, dont certains appellent une vigilance particulière. Le premier point de vigilance concerne les risques psychosociaux. L’étude d’impact aborde la question de manière incidente dans son article 2, intitulé Dispositions renforçant le dialogue social. L’article 1.2.7. qui exhume le droit d’expression des salariés imaginé dans les lois Auroux, fait observer que « l’accord national interprofessionnel du 17 mars 1975 sur l’amélioration des conditions de travail rappelle que l’organisation du travail est de la seule responsabilité de l’employeur, mais que la possibilité donnée aux salariés de s’exprimer sur leur travail, sur la qualité des biens et services qu’ils produisent, sur les conditions d’exercice du travail et sur l’efficacité du travail est l’un des éléments favorisant leur perception de la qualité de vie au travail et du sens donné au travail ». L’étude d’impact rappelle enfin que cette expression est un facteur important de régulation du risque psychosocial et conclue à la nécessité de légiférer pour revisiter le droit d’expression des salariés en prenant en compte notamment l’utilisation des outils numériques. Rappelons que 18 articles du code du travail organisent actuellement ce droit d’expression des salariés que peu d’entreprises ont formalisé (malgré la sanction encourue d’un emprisonnement d’un an et d’une amende de 3 750 euros).
Le lien direct qui est fait entre le droit d’expression et les risques psychosociaux lui donne une nouvelle dimension. En cas de réalisation d’un risque psychosocial, l’entreprise sera considérée défaillante si elle n’a pas conservé une traçabilité de l’organisation du droit d’expression et pourra être sanctionnée pour faute inexcusable, puisqu’elle n’aura pas mis en place ce dispositif qui lui aurait permis de prendre connaissance du dysfonctionnement à l’origine du préjudice subi par le salarié. Les directions sont, par conséquent, invitées à ne plus voir le droit d’expression comme un accessoire, mais comme un élément de la politique de prévention des risques psychosociaux, avec la traçabilité qui s’impose.
Vérification du compte de pénibilité
Un autre sujet abordé par la réforme est de nature à engager la responsabilité de l’entreprise et de ses dirigeants pour ne pas avoir respecté l’obligation de résultat en matière de santé physique et mentale des salariés. Dans sa lettre, envoyée le 8 juillet 2017 aux organisations syndicales et patronales, le Premier ministre annonce la révision du compte de pénibilité. Force est de constater que les bonnes intentions se heurtent à des difficultés de mise en œuvre notamment dans les petites et moyennes entreprises. Le système à points en vigueur présente l’avantage de répondre parfaitement à une logique préventive. Il est, toutefois, d’une lourdeur administrative qui le rend très difficile d’application. Quatre critères sortent ainsi du périmètre du compte à points : la manutention des charges lourdes, les postures pénibles, les vibrations mécaniques et les risques chimiques. La reconnaissance se fait dorénavant a posteriori, par un examen médical. Il y a dans ce dispositif une vraie difficulté pour les entreprises. En effet, l’examen médical a pour objet de relever que l’état de santé du salarié est dégradé en raison des situations de pénibilité qu’il a subies dans l’exercice de son métier, pour lui faire bénéficier des compensations qui y sont associées. Cet examen atteste, ainsi, que l’entreprise n’a pas satisfait à son obligation de résultat en matière de santé physique et mentale de son salarié. Cette modification du compte de pénibilité allège certes la charge administrative, mais elle crée un piège pour les entreprises qui ne mettraient pas en place une politique de prévention sur ces quatre facteurs de risque, avec la traçabilité individuelle pertinente. Conformément aux exigences de la Cour de cassation, les entreprises pourront exonérer leur responsabilité si elles sont en mesure de démontrer avoir pris toutes les mesures de prévention (Cass. soc., 25 nov. 2015, n° 14-24.444 et Cass. soc., 1er juin 2016, n° 14-19.702).
Des mesures appliquées afin de fluidifier le marché de l’emploi
La réforme aborde bien d’autres sujets qui ont fait l’objet de nombreux écrits et seront à nouveau commentés. Pour conclure, nous choisirons les dispositions relatives à la flexibilité de l’emploi. Il s’agit d’ouvrir les possibilités de négociation au niveau de la branche, en matière de réglementation relative au CDD et au travail temporaire, sur les motifs de recours à ces contrats, leur durée et leur succession sur un même poste ou avec le même salarié. Les branches sont également sollicitées pour décider de la mise en place des C.D.I. de chantier, pouvant être étendus, comme le précise l’étude d’impact, à « toute opération dont l’objet est précisément défini, le début et la fin clairement identifiés, mais dont la durée et le terme sont incertains ».
Ces mesures sont à rapprocher des nouvelles modalités applicables aux licenciements pour motif économique, au plafonnement des indemnités de licenciement et, dans une moindre mesure, au détachement, qui visent à fluidifier le marché de l’emploi. Elles s’inscrivent dans la première proposition de la flexisécurité. La réforme n’aborde aucun des aspects de la sécurité. Le sujet mérite peut-être une attention particulière dans le cadre de l’orientation qui est prise. En effet, le degré de flexibilité pourra être réglé dans chaque branche. Se pose, dès lors, la question de savoir si la solidarité pour assurer la sécurité pendant les intercontrats doit être nationale ou modulée selon les branches. Ceci amènerait les branches dont la politique de l’emploi est la moins pertinente à créer un fonds pour compléter la solidarité nationale.
Ce serait un nouveau pouvoir donné aux branches, qui n’est pas sans rappeler celui des corporations interdites par le décret du 23 avril 1791, qui visait à promouvoir la liberté de profession et de commerce. Cette observation, quelque peu provocatrice, pour rappeler que toute réforme peut conduire à des chemins opposés, selon la capacité des acteurs à développer de réelles relations collaboratives. Les rédacteurs de l’avant-dernière version de la loi El Khomri avaient insisté sur la nécessaire loyauté des relations sociales. La version votée était plus modérée.
Gageons que les textes à venir réhabilitent cette notion juridique, à peine évoquée dans l’étude d’impact, qui est le fondement de toute relation collaborative et la condition de réussite des réformes en cours.