Relations professionnelles et Ubérisation
21 décembre 2016
L’ubérisation est une des composantes du modèle économique des plates-formes numériques. Elle vise à réduire les contraintes résultant de la réglementation, notamment du droit du travail. Malgré la profonde évolution enregistrée par la réglementation sociale, dont sont issues de nombreuses possibilités d’assouplissement de la gestion des frais de personnel, ces nouveaux modèles d’organisation nous placent à l’aube de tous les possibles en matière de relations professionnelles.
Jacques Uso, associé du cabinet d’avocats Lawsen, nous livre son point de vue et son analyse sur le sujet.
Nous n’avons pas identifié de définition officielle de l’ubérisation. Ce néologisme est utilisé pour décrire des réalités différentes que l’on dit reliées par l’évolution des technologies de la communication et du traitement de l’information. Il est attribué à Maurice Lévy dans un entretien accordé au Financial Times, en décembre 2014. Il faisait référence au « tsunami numérique » qui remettrait en cause des pans entiers d’activités historiques de l’économie traditionnelle. Le mot renvoie à l’entreprise Uber qui proposait, alors, à des personnes titulaires du permis de conduire catégorie B et au casier judiciaire vierge, en quête d’activité, une mise en relation avec des entreprises de transport qui recrutent. Le site d’Uber précisait que ces entreprises pouvaient être intéressées par tout type de profil, avec ou sans expérience et ajoutait que « de nombreux partenaires fournissent également le véhicule dans leur offre ».
Uber propose également, maintenant, à ceux qui le souhaitent, de les aider à devenir « chauffeur professionnel indépendant ». Uber suggère alors des partenaires pour aider à la création d’une société en moins d’une semaine, d’autres en mesure de fournir un véhicule en location ou à la vente, ou encore d’assurer la société et le véhicule. Uber offre ensuite aux consommateurs les services, pour les déplacements en ville, de ces chauffeurs indépendants ou qui ont intégré une entreprise de transport. La mise en relation entre un client et une voiture avec chauffeur se fait de longue date dans les compagnies de taxi ou par les standards partagés de taxis indépendants.
Ne pas confondre ubérisation et plateformisation
Ces plates-formes utilisent des technologies qui aident à détecter le taxi le plus pertinent en fonction de la course à réaliser. Le client appelle un numéro de téléphone unique et, à l’autre bout de la chaîne, un taxi est identifié en fonction de l’heure et de la nature de la course à réaliser. Certaines compagnies donnent la possibilité de faire cette commande au travers d’un site Internet au moyen d’un simple mobile. G7, qui annonce être la plate-forme de taxis la plus importante d’Europe, met à disposition de ses partenaires taxis une tablette Android et une application smartphone. Ces outils sont tout à fait comparables à ceux utilisés par Uber. Les nouvelles technologies ne sont donc pas à l’origine de la spécificité d’Uber. La particularité de cette entreprise est d’avoir su se positionner, pour proposer une prestation, qui existait déjà, en dehors du cadre réglementaire qui la régissait. En effet, à l’inverse d’Uber, d’autres prestations résultent directement du développement des technologies du traitement de l’information. L’ubérisation ne doit pas être confondue avec la « plateformisation » de l’économique. Ce terme émergeant, y compris dans les discours politiques, renvoie de manière plus adéquate au modèle économique issu des plates-formes numériques. La capacité de traitement de ces plates-formes rend possible un volume de mises en relation, qui aurait été inenvisageable sans ces technologies.
Dans un article paru dans Les Échos, le 12 novembre 2015, Pierre-Eric Leibovici, cofondateur de la société de capital-risque Daphni, observe que les plates-formes sont des amplificateurs de potentialités de relations entre clients et fournisseurs. La gratuité apparente d’utilisation pour les clients incite à l’adhésion et la masse d’adhérents attire les nouveaux fournisseurs. Certaines plates-formes, comme Blablacar, Tweeter ou Facebook, ne proposent pas une prestation déjà existante, mais peuvent les concurrencer. D’autres sont des alternatives dégradées à des prestations existantes. Airbnb, pour la plus connue, gère une offre de location immobilière, mais sans la sécurisation de la sélection et de l’assistance des agences de location comme Interhome. Ce sont des entreprises tout à fait traditionnelles. L’organisation et la production sont assurées par des salariés dont la plupart sont en temps plein et à durée indéterminée. Uber apparaît ainsi comme un choix d’organisation d’entreprise qui externalise sa production, sans être pour autant issue des nouvelles technologies qui ne sont qu’une justification de contexte.
La question de l’externalisation de certaines fonctions est récurrente dans les entreprises
Participant à la direction des ressources humaines d’une papeterie il y a plus de vingt ans, nous nous posions régulièrement la question de l’externalisation totale ou partielle de la maintenance. Un équilibre complexe était à trouver entre la souplesse, les coûts, la réactivité et la compétence. La véritable innovation du modèle d’Uber est d’avoir osé externaliser ce qui était perçu comme le cœur de métier, le transport de personnes, pour se centrer sur ce qui apparaissait comme une activité au service du cœur de métier, l’identification du véhicule qui prend la course en charge. Cette astuce permet à Uber de contourner deux réglementations : celle relative aux taxis et le droit du travail. Concernant la réglementation relative aux taxis, Uber a été condamné par le tribunal correctionnel de Paris à une amende de plusieurs centaines de milliers d’euros et ses deux dirigeants à plusieurs dizaines de milliers.
La lourdeur de ces condamnations illustre la difficulté à créer des nouvelles formes d’activité. En son temps, le portage salarial avait rencontré les mêmes vicissitudes. Il a vu le jour en 1988 à l’initiative d’anciens de grandes écoles qui structuraient une aide au retour à l’activité pour leurs collègues, notamment seniors. À la suite d’une longue aventure parsemée de poursuites pénales pour prêt illicite de main d’œuvre, de tentative de réglementation, de création d’un syndicat professionnel, de négociation d’un accord de branche, le portage salarial est aujourd’hui réglementé par le code du travail. Il vise à mettre en relation une offre de compétences avec une demande temporaire. Cette mise en relation est le propre des sociétés d’intérim qui existaient à l’époque, mais qui présentaient deux inconvénients.
La réglementation ignore les nouvelles formes d’activités personnelles
Elles devaient prélever une marge correspondant à leur activité commerciale et s’inscrire dans le cadre de la réglementation du droit du travail en particulier en ce qui concerne le motif et la durée des missions, qui apparaissait inadaptée aux besoins des entreprises. Le portage salarial ressort ainsi comme une des premières formes d’ubérisation, avant l’heure. L’ubérisation est au final un particularisme dans le modèle économique des plates-formes numériques qui se caractérise par l’organisation de sa production en marge de la réglementation et, tout particulièrement, du droit du travail. Les chauffeurs d’Uber, ou les livreurs de repas ou de biens de consommation, les enseignants, formateurs pour adultes, et autres « partenaires » de plates-formes, ne sont pas des salariés comme dans une entreprise traditionnelle, mais des auto-entrepreneurs, des SASU, SAS, commerçants indépendants ou autres travailleurs non-salariés. La fonction production est externalisée et son périmètre (les effectifs) varie en fonction de la demande. La rémunération est fixée en dehors de toute contrainte légale ou conventionnelle. La réglementation sur le temps de travail ne s’applique pas.
Ce besoin de souplesse a été pris en compte par le législateur. Dans une organisation traditionnelle, la production constitue le coût fixe le plus important. Une des difficultés de la gestion des entreprises et de limiter les rigidités de la production pour faciliter l’adaptation permanente de l’entreprise aux variations de son marché. Aussi, les difficultés économiques ont amené le législateur, sur l’incitation pressante des politiques, à créer progressivement une boite à outils permettant de faire varier les frais de personnel. Cette évolution s’est organisée autour de deux axes, d’une part le développement du champ de la négociation d’entreprise et, d’autre part, la création d’espaces en marge du contrat de travail à durée indéterminée. Les lois Rebsamen, Macron et El Khomri marquent une étape dans l’élargissement du champ de la négociation d’entreprise organisant la primauté de l’accord d’entreprise sur l’accord de branche. Le code du travail prévoit, certes, toujours des dispositions minimales au-delà desquelles les accords de branche ou d’entreprise ne peuvent pas aller, mais désormais des accords négociés au niveau de l’entreprise pourront être moins favorables que les dispositions négociées au niveau de la branche d’activité. Ces dispositions s’inscrivent dans une évolution engagée par l’ordonnance du 16 janvier 1982 qui fixait une nouvelle réglementation sur la durée du travail. L’exposé des motifs précisait : « Aux partenaires sociaux appartient le soin de déroger, par voie d’accord, aux règles précédentes en matière d’aménagement du temps de travail, de définir un contingent d’heures supplémentaires utilisable sans autorisation de l’inspection du travail ou de moduler, dans certaines limites, la durée hebdomadaire du temps de travail ».
La primauté du contrat de travail remise en cause
Une autre étape a été marquée par la loi du 4 août 2004 qui permettait, sous certaines conditions, à l’accord de rang inférieur de déroger à un accord de rang supérieur. Dans le prolongement, les articles 2253-1 et 2253-3 du code du travail ont posé pour principe qu’un accord d’entreprise peut déroger à des conventions de branche ou accords professionnels ou interprofessionnels dans un sens moins favorable au salarié. L’administration du travail dans la circulaire DRT n° 09 du 22 septembre 2004 précisait que, lorsque l’accord est silencieux, les accords de niveau inférieur peuvent librement y déroger et, en matière de temps de travail, le Conseil constitutionnel a été amené à indiquer que la mise en œuvre par un accord d’entreprise de dispositions moins favorables au salarié que celles prévues dans l’accord de branche s’imposait, même si ce dernier l’interdit expressément (Cons. const., 7 août 2008, no 2008-568 DC). La primauté du contrat de travail elle-même a été remise en cause, qu’il s’agisse de considérer qu’une modulation du temps de travail sur l’année n’est pas une modification du contrat de travail (article L 3122-6 du code du travail issu de la loi du 22 mars 2012) ou que la situation économique de l’entreprise peut justifier une augmentation du temps de travail sans augmentation de la rémunération, comme cela est organisé par les dispositions relatives aux accords de compétitivité.
S’agissant du deuxième axe, la création d’espaces en marge du contrat de travail à durée indéterminée, les solutions réglementées sont aujourd’hui multiples. Légalisé par la Loi 72-1 du 3 janvier 1972, l’intérim a permis de remplacer un salarié absent, de faire face à un accroissement temporaire d’activité de l’entreprise, voire de pourvoir un emploi saisonnier ou encore assurer une fonction de manager de transition. Le développement de l’intérim est surveillé de près par la jurisprudence et le contentieux en matière de requalification en contrat à durée indéterminée est très fourni. Il s’agit de contrer les abus visant à détourner les motifs légaux de l’intérim et, en réalité, de pourvoir par l’intérim des postes permanents. Il reste que, selon les statistiques DARES, depuis 2001 l’intérim représente en moyenne plus de 3 % des emplois en France avec des taux supérieurs à 7 %, approchant les 9 % certaines années, dans des secteurs majeurs comme l’industrie ou la construction. Pour limiter la précarisation sociale et faciliter la situation des intérimaires et par conséquent le recours à l’intérim, le législateur a organisé le contrat à durée indéterminée intérimaire.
D’une relation employeur/salarié à une relation client/fournisseur
Le CDI intérimaire est entré en vigueur à compter du 6 mars 2014, en application de l’accord sur la sécurisation des parcours professionnels des intérimaires, conclu le 10 juillet 2013. Dans ce cadre, le risque n’est plus supporté exclusivement par le salarié intérimaire mais partagé avec la société d’intérim : pendant les intermissions, le salarié reste à disposition de la société d’intérim et perçoit une rémunération minimale. Toutefois le CDI intérimaire ne limite pas les contraintes pour l’entreprise utilisatrice, notamment en matière de durée et de motif des missions. L’accord national interprofessionnel du 11 janvier 2008 sur la modernisation du marché du travail a indiqué, à propos du portage salarial, que « considérée comme entachée d’illégalité, cette forme d’activité répond cependant à un besoin social dans la mesure où elle permet le retour à l’emploi de certaines catégories de demandeurs d’emploi, notamment des seniors », ajoutant qu’« il est souhaitable de l’organiser afin de sécuriser la situation des portés ainsi que la relation de prestation de service ». Dans le prolongement, la loi no 2008-596 du 25 juin 2008 portant modernisation du marché du travail a inséré dans le code du travail l’article L. 1251-64 légalisant le portage salarial et l’ANI de 2008 a été étendu par arrêté ministériel en 2013.
Dans son rapport de 2010, la Cour de cassation définit le portage salarial comme étant « un ensemble de relations contractuelles organisées entre une entreprise de portage, une personne portée et des entreprises clientes comportant, pour la personne portée, le régime du salariat et la rémunération de sa prestation chez le client par l’entreprise de portage. Il garantit les droits de la personne portée sur son apport de clientèle ». L’article L 1251-64 a été abrogé par l’ordonnance du 2 avril 2015. Le portage salarial est maintenant organisé par les articles L 1254-1 et suivants et R 1254-3 et suivants du code du travail. Il apporte une grande souplesse et permet des missions d’une durée maximale de 36 mois. Il est toutefois réservé à certaines qualifications. En effet, la rémunération mensuelle minimale pour un temps plein est égale à 75 % du plafond mensuel de la sécurité sociale pour une activité à temps plein, soit 2 413,50 € pour 2016. Il est aussi réservé aux intervenants en mesure d’apporter leur propre marché. Le temps partagé apporte une solution complémentaire. En application des articles L 124-24 et suivants, l’activité des entreprises de temps partagé consiste à mettre à disposition d’entreprises clientes du personnel qualifié que ces dernières ne peuvent recruter elles-mêmes en raison de leur taille ou de leurs moyens.
Se soustraire à la rigidité du CDI
Il n’existe ni limite dans le temps, ni liste de recours interdits et autorisés au travail à temps partagé. Il suffit que l’entreprise cliente fasse état d’un besoin de personnel qualifié, sans autre précision, peu importe que le salarié soit affecté durablement à un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise. Les entreprises peuvent également organiser le temps partagé directement entre elles et, selon les articles L 1253 et suivants du code du travail, créer des groupements d’employeurs sous la forme d’une association loi 1901 ou une coopérative, pour embaucher les compétences qui leur sont nécessaires et les partager selon leurs besoins. Ces quatre solutions, tout en limitant la précarité, permettent à l’entreprise utilisatrice de se soustraire à la rigidité du contrat à durée indéterminée. Elles créent les conditions de relations professionnelles employeur/salarié d’une nouvelle nature. Que le salarié soit porté par une société d’intérim, de portage salarial, à temps partagé, ou un groupement d’employeur, la relation de travail s’approche, à des degrés différents, de la relation client/fournisseur.
En intérim, classique ou en CDI intérimaire, ou à temps partagé, le salarié mis à disposition a été recruté pour assurer une mission auprès de l’entreprise cliente. La relation avec la société d’intérim, de temps partagé ou le groupement d’employeurs est primordiale. C’est de cette relation que dépendent, pour l’essentiel, l’emploi et l’avenir de la personne portée. La dépendance économique se situe davantage dans cette relation que dans celle avec l’entreprise utilisatrice. L’intérim, particulièrement le CDI intérimaire, ou le temps partagé constituent ainsi un premier degré d’émancipation ou, a minima, de mise à distance de la personne portée vis-à-vis de l’entreprise dans laquelle elle réalise la prestation. Il doit être observé, malgré tout, d’une part, que la personne portée est un salarié mis à disposition soumis aux contraintes du lien de subordination et, d’autre part, que l’entreprise utilisatrice doit respecter l’égalité de traitement vis-à-vis de ses propres salariés, notamment en matière de rémunération. Le tout est réglementé par le droit du travail et la relation professionnelle reste fondamentalement une relation employeur/salarié. Elle se caractérise toutefois par cette mise à distance qui place plus naturellement la personne portée et l’entreprise utilisatrice dans une relation collaborative que celle pouvant exister dans un cadre exclusif d’application du lien de subordination.
En portage salarial, la personne portée est un professionnel autonome, qui prend en charge la recherche de ses propres missions. L’intervenant négocie ses honoraires en fonction du salaire qu’il pourra en retirer et il n’a aucun lien de subordination avec l’entreprise cliente. Les conditions sont réunies pour que s’établisse une relation client/fournisseur. Il en est de même du recours au statut d’auto-entrepreneur. L’intervenant qui ne porte pas d’intérêt particulier au statut de salarié n’a pas besoin d’une société de portage et établit directement avec son client un contrat de prestation de services. Il n’y a dans cette relation aucune protection ou contrainte issue du droit du travail qu’elle soit directe, comme dans le temps partagé ou l’intérim, ou indirecte, comme dans le portage salarial. Toutefois la liberté n’est pas totale.
Contrôle et sanction sont constitutifs de la subordination
Le rapport de 2010 de la Cour de cassation, suite à deux arrêts du 17 février 2010 relatifs au portage salarial, précise « la qualification de contrat de travail et le régime juridique qui en découle ne sont pas à la disposition des parties qui estimeraient pouvoir s’affranchir des obligations qui s’y rattachent en fonction de ce qui leur paraîtrait commode (…) la seule volonté des parties [est] impuissante à soustraire [un travailleur] au statut social qui découlait nécessairement des conditions d’accomplissement de son travail ». La Cour de cassation assure la même veille en ce qui concerne le statut d’auto-entrepreneur. Dans un article paru dans la semaine sociale Lamy du 24 octobre 2016, Cédric Jacquelet, avocat, rappelle que « la jurisprudence semble donc accorder moins d’importance au cadre organisationnel général pour se concentrer davantage sur le mode d’exercice de l’activité proprement dite et la liberté qu’a, ou n’a pas, le travailleur de définir ce dernier ». Cet article porte sur l’annonce faite par les Urssaf d’une saisine à l’encontre d’Uber en vue de faire requalifier ses chauffeurs en salariés.
Poursuivant l’analyse, il s’arrête sur le système de notation rappelant que le contrôle de l’exécution de la prestation et la sanction des manquements sont, eux, des éléments constitutifs du lien de subordination. Les conséquences d’une requalification peuvent être très lourdes. Les articles L 8224-1 et suivants du code du travail fixent les sanctions en cas de travail dissimulé. La peine d’emprisonnement peut aller jusqu’à trois ans et l’amende jusqu’à 45 000 euros, portée à 225 000 euros si la responsabilité de la personne morale est reconnue. Par ailleurs, l’employeur devra le paiement des salaires et des cotisations sociales sur la base d’un poste équivalent dans l’entreprise. Cette régularisation est rétroactive et débute dès le premier jour de la relation de travail. L’auto-entrepreneur peut également solliciter le versement d’indemnités. Peuvent enfin s’ajouter des sanctions administratives comme l’interdiction d’exercer, la fermeture temporaire, l’exclusion des marchés publics, le remboursement d’aides publiques.
L’ubérisation, signe de modernité ?
Cette action des Urssaf fait écho à la grogne qui se développe chez les chauffeurs d’Uber. Le jeudi 2 juin 2016, 354 chauffeurs ont lancé un financement participatif sur la plate-forme numérique Wejustice.com, spécialisée dans les actions en justice, en vue de demander la requalification de leur situation en relation salariale. Cette fronde s’est organisée autour du sentiment d’une dépendance économique totale et d’une soumission obligatoire au « système » Uber qui présélectionne le matériel, les assureurs, les conseils, fixe les tarifs et, selon la notation de la clientèle, distribue les courses à réaliser. Au final, l’ubérisation amène les « partenaires indépendants » à organiser une défense collective et à s’inscrire dans une relation antagoniste pour améliorer leur situation. Les syndicats de salariés légalisés par la loi Waldeck-Rousseau du 21 mars 1884 avaient bien cette fonction. Au terme d’une longue histoire du syndicalisme, émaillée de luttes opposant le salariat au patronat sur des procès d’intention réciproques, le législateur a créé les conditions d’une relation collaborative prenant en compte la réalité économique à la fois de l’entreprise et des salariés, en donnant aux partenaires sociaux la possibilité de créer les normes les plus adaptées, au niveau de l’entreprise. Il est paradoxal de constater que l’ubérisation, s’appuyant sur les nouvelles technologies et le développement d’une économie collaborative, pouvait en ce sens être signe de modernité, contribue à créer le mouvement inverse et à réinstaurer des relations professionnelles anachroniques.
Pierre Levy dans son ouvrage, L’intelligence collective : Pour une anthropologie du cyberspace, observait l’émergence d’un nouveau milieu de communication, de pensée et de travail pour les sociétés humaines : le cyberespace. Il s’interrogeait sur le devenir du lien social. Il observait toutefois que ces nouveaux moyens de communication permettent aux groupes humains de mettre en commun leurs imaginations et leurs savoirs et qu’au final, forme sociale inédite, le collectif intelligent peut inventer une « démocratie en temps réel ». Il invitait en n à ne pas penser en termes d’impact des techniques sur la société, mais de projet.
L’ubérisation est un projet de société qui renvoie au passé comme nous venons de le voir. Le modèle économique des plates-formes peut, au contraire, être à l’origine d’un formidable élan économique accompagné par des relations sociales et professionnelles réellement collaboratives dont le cadre juridique reste à ajuster.
Un mot sur Lawsen Avocat
Jacques Uso et Karine Barthélemy mettent à votre service leur savoir-faire en matière de droit social afin d’apporter un éclairage pratique et de définir des outils RH simples et efficaces pour conduire le changement.
Jacques Uso
Office et Culture n°42 décembre 2016