La rupture conventionnelle (1/2)
5 avril 2018
Prime à la mauvaise foi et à l’incompétence
En 2018, la rupture conventionnelle fête ses dix ans. Telle que définie par les textes et encadrée par la jurisprudence, elle a connu un réel succès. Elle ne tient toutefois pas toujours les promesses d’un accord loyal à l’origine de la rupture du contrat de travail. Les réformes en cours, notamment celles créant la rupture conventionnelle collective, peuvent être source d’inspiration pour lui redonner sa véritable dimension managériale.
La rupture conventionnelle, qu’est ce que c’est ?
La rupture conventionnelle individuelle est une convention par laquelle l’employeur et le salarié décident, d’un commun accord, de rompre le contrat de travail à durée indéterminée qui les lie et fixent les conditions de cette rupture(1). Elle ouvre droit aux allocations d’assurance chômage et à une indemnité de rupture d’un montant au moins équivalent à celui de l’indemnité légale ou conventionnelle de licenciement (si cette dernière est plus élevée). Cette indemnité est exonérée de charges sociales et d’impôt dans les limites réglementaires applicables aux sommes versées à l’occasion de la rupture du contrat de travail, hors licenciement pour motif économique.
Les modalités de rupture conventionnelle
La rupture conventionnelle, qui n’est ni un licenciement, ni une démission, ne peut pas être imposée par l’une ou l’autre des parties. Si les échanges sont de l’initiative de l’employeur, le choix offert au salarié doit être de quitter librement l’entreprise ou de rester, et non celui d’influencer les modalités de son départ. Sauf lorsqu’elle est convenue dans le cadre d’un accord de gestion prévisionnelle de l’emploi et des compétences (GPEC), d’un plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) ou d’une convention tripartite à l’occasion d’une mutation intragroupe « ayant pour objet d’organiser, non pas la rupture, mais la poursuite du contrat de travail »(2), toute rupture amiable d’un contrat à durée indéterminée doit s’inscrire dans la procédure de la rupture conventionnelle homologuée.(3)
À défaut, la rupture sera analysée comme un licenciement sans cause réelle et sérieuse. À l’inverse, la rupture conventionnelle ne peut se substituer à d’autres cadres de rupture du contrat de travail déterminés par le code du travail. Ainsi, les modalités de la rupture conventionnelle individuelle ne peuvent pas être utilisées pour les départs liés aux accords collectifs de GPEC, à un accord de ruptures conventionnelles collectives homologuées ou aux PSE. L’administration veille à ce que la rupture conventionnelle ne soit pas utilisée comme moyen de contournement des dispositions légales applicables aux licenciements économiques collectifs, ce qui pourrait priver les salariés concernés du bénéfice du contrat de sécurisation professionnelle et des garanties attachées aux accords de GPEC et aux PSE.(4)
Comment vérifier l’existence ou non d’un contournement de la procédure de licenciement collectif ?
L’administration invite les agents saisis de demandes d’homologation massives, fréquentes ou intervenant dans un contexte économique difficile, à vérifier l’existence, ou non, d’un contournement de la procédure de licenciement collectif, en tenant compte non seulement de la situation de l’établissement, mais aussi de celle de l’entreprise et du groupe. Elle attire l’attention, à titre d’indices, sur : le dépassement du seuil de 10 demandes d’homologation sur une période de 30 jours ; au moins une demande sur une période de 3 mois, faisant suite à 10 demandes échelonnées sur la période de 3 mois immédiatement antérieure ; au moins une demande au cours des 3 premiers mois de l’année faisant suite à plus de 18 demandes au cours de l’année civile précédente(5). Il en ressort que les employeurs qui signent une convention individuelle de rupture peuvent être amenés à démontrer que la raison de leur consentement à la rupture est étrangère au motif économique, notamment si un accord de GPEC a été signé ou qu’une procédure de licenciement économique a été engagée.
La création de la rupture conventionnelle
Créé en 2008, ce dispositif fête ses dix ans de pratique(6). La rupture conventionnelle est venue remplacer la rupture négociée du contrat de travail (ou résiliation amiable). Cette solution s’appuyait sur les dispositions de l’article 1193 du code civil, selon lequel les parties peuvent mettre fin au contrat qui les lie par consentement mutuel. La relation entre l’employeur et le salarié étant déséquilibrée, se posait, alors, la question du libre consentement du salarié quand l’employeur avait l’initiative des échanges. C’est pourquoi la rupture conventionnelle est encadrée par une procédure d’homologation qui vise à garantir la liberté du consentement des parties. Imprégnée de son devoir de protection du salarié dans le cadre des ruptures négociées, la direction générale du travail chargeait ses agents, dès 2008, de vérifier, lors de la procédure d’homologation, « que la rupture conventionnelle ne s’inscrit pas dans une démarche visant à contourner des procédures et des garanties légales (périodes de protection de l’emploi, accident du travail, maladie professionnelle, maternité, maladie de droit commun, procédures de rupture pour inaptitude médicale…)(7). ».
Un an plus tard, l’administration demandait aux Directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi (Direccte) de refuser l’homologation des ruptures conventionnelles conclues pendant toute période de suspension durant laquelle le salarié bénéficie d’une protection particulière et la rupture du contrat de travail est rigoureusement encadrée (congé de maternité, arrêt imputable à un accident du travail, etc.). Elle indiquait « que la rupture conventionnelle ne peut […] être signée pendant cette période »(8).
Qu’en pense la cour de cassation ?
La Cour de cassation est venue tempérer cette méfiance. Elle a jugé que les dispositions protectrices de l’emploi, si elles prohibent la rupture du contrat de travail à l’initiative de l’employeur, ne font pas obstacle à la conclusion d’une convention individuelle de rupture, sauf, bien sûr, en cas de fraude ou de vice du consentement. Elle a, par conséquent, validé la rupture conventionnelle signée pendant une période de suspension du contrat de travail, consécutive à un accident du travail(9).
Il ressort de la lecture des arrêts de la Cour de cassation que le raisonnement qu’elle a suivi tient à la finalité de la protection. Celle-ci tend à garantir l’emploi des personnes en situation de vulnérabilité contre un éventuel abus de pouvoir de l’employeur. Mais cette protection ne vise pas à s’opposer à une volonté de départ manifestée par le salarié, que ce soit par la démission ou par une rupture conventionnelle librement consentie. Peut donc être valablement signée une rupture conventionnelle : alors que le salarié a été déclaré inapte à son emploi ou déclaré « apte sous réserves »(10) ; alors que le salarié est en arrêt maladie, y compris s’il est atteint d’une dépression nerveuse liée à ses conditions de travail, dès lors qu’au moment de la signature le consentement du salarié était libre et éclairé(11) ; ou encore pendant la durée du congé de maternité d’une salariée, ainsi que dans les quatre semaines qui suivent celui-ci(12). A fortiori, rien ne s’oppose à la conclusion d’une rupture conventionnelle pendant les cas de suspension au cours desquels il n’y a pas de protection particulière, congé parental d’éducation, congé sabbatique, congé sans solde(13). Encore faut-il que le consentement du salarié soit libre.
Le consentement du salarié doit être libre
Cette question est particulièrement délicate quand la négociation de la rupture conventionnelle se déroule dans un contexte conflictuel. Les magistrats du fond ont eu, à ce sujet, quelques hésitations, auxquelles la Cour de cassation a mis un terme en précisant que le juge ne peut pas se fonder sur le seul constat de l’existence d’un différend pour annuler une rupture conventionnelle homologuée, mais doit s’assurer que le salarié a bien librement consenti à ce mode de rupture et n’a pas fait l’objet de pressions ou de menaces(14). L’administration et la jurisprudence s’attachent ainsi à s’assurer que l’employeur ne tente pas de détourner le dispositif pour échapper aux contraintes de la rupture unilatérale du contrat de travail, pour motif économique ou personnel, tout en donnant la possibilité au salarié de bénéficier de ce dispositif s’il en a réellement la volonté.
Etude sur la rupture conventionnelle
Encadré par l’administration et la jurisprudence, le dispositif a connu un réel succès. Dans son étude, publiée le 25 janvier 2018, la Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares, ministère en charge du travail), relevait que sur l’année 2017, près de 421 000 ruptures conventionnelles ont été homologuées, soit une hausse de 7,8 % par rapport à 2016 ; 14 % des contrats à durée indéterminée prennent ainsi fin selon les modalités de la rupture conventionnelle.
Le pouvoir de négociation de l’indemnité
Cette étude révèle également que le pouvoir de négociation de l’indemnité de rupture conventionnelle dépend de la catégorie socioprofessionnelle du salarié, de la taille de l’entreprise, de l’aide dont il a pu bénéficier dans le cadre d’un entretien préalable à la rupture, mais également de sa rémunération, de son âge et de son secteur d’activité, s’il s’agit d’un cadre. Ainsi : « Un ouvrier ayant un salaire brut compris entre 1 520 et 1 800 euros a environ 5 fois moins de chances de bien négocier son indemnité qu’un cadre dont la rémunération mensuelle brute est comprise entre 2 950 et 3 650 euros. À caractéristiques équivalentes, un salarié assisté au cours d’un entretien préalable à la rupture 64 management OFFICE ET CULTURE 47 conventionnelle a 2,09 fois plus de chances de bien négocier son indemnité, comparativement à un salarié qui n’a pas bénéficié d’une assistance ». Un déficit d’information des ouvriers et des employés, et parfois même un déficit de tentative de négociation, peuvent expliquer ces écarts.
Le déséquilibre de la relation contractuelle
L’étude met en évidence chez les non-cadres (notamment les ouvriers), un manque de connaissance des modalités de la rupture. Les cadres sont plus nombreux à s’être renseignés au préalable sur les garanties auxquelles donne droit la rupture conventionnelle. C’est le cas notamment de l’indemnité de départ, sur laquelle 57,4 % des cadres ont obtenu des renseignements avant la signature de leur rupture, contre 34,3 % des ouvriers et 39,2 % des employés. Lorsqu’ils sont interrogés sur les modalités de leur rupture de contrat, 42,3 % des cadres déclarent avoir négocié leur indemnité (contre 15,9 % des employés et 13,2 % des ouvriers) et 43,3 % déclarent avoir eu une discussion avec leur employeur sur le mode de calcul de l’indemnité de rupture (28,3% des employés et 25,4% des ouvriers).
Le déséquilibre de la relation contractuelle pèse sur la négociation de la rupture conventionnelle. Les auteurs précisent que le lien de subordination entre salarié et employeur peut favoriser, de facto, l’employeur, surtout lorsque le salarié est un ouvrier, un employé ou qu’il est dans une position fragile au sein de l’entreprise. Ils soulignent aussi qu’un cadre est susceptible de disposer d’une meilleure connaissance des processus de décision, en raison de sa position dans l’entreprise, plus proche de la direction. La relation est alors moins déséquilibrée et une stratégie de négociation est possible.
1. C. trav., art. L. 1237-11 et s
2. Cass. soc., 8 juin 2016, no 15-17.555
3. Cass. soc., 15 oct. 2014, no 11-22.251
4. Circ., 17 mars 2009; Instr. DGT 23 mars 2010
5. Instr. DGT 23 mars 2010, § 1 b
6. Loi n°2008-596 du 25 juin 2008
7. Circ. DGT no 2008-11, 22 juill. 2008
8. Circ. DGT no 2009-04, 17 mars 2009, § 1.2
9. Cass. soc., 30 sept. 2014, no 13-16.297
10. Cass. soc., 28 mai 2014, no 12-28.082
11. Cass. soc., 30 sept. 2013, no 12-19.711
12. Cass. soc., 25 mars 2015, no 14-10.149
13. Circ. DGT no 2009-04, 17 mars 2009
14. Cass. soc., 3 juill. 2013