Temps de travail et QVT: Le trait d’union des forfaits jour
17 décembre 2019
Le temps de travail n’a pas fini de susciter du contentieux. La CJUE rappelle l’obligation de décompte horaire de la durée du travail par l’entreprise. Pour les forfaits jours, par nature dérogatoires, ce contrôle ne porte plus tant sur le temps de travail que sur la qualité de vie au travail. Une invitation à réfléchir à l’articulation des négociations en entreprise et traiter le temps de travail dans son ensemble en lien avec la QVT. Analyse de Karine Barthélémy, avocat associé au sein du cabinet Lawsen Avocats.
Temps de travail: un principe égalitaire et non individuel
La négociation périodique obligatoire en entreprise sépare, d’un côté les thèmes de la rémunération et du temps de travail, de l’autre ceux de l’égalité professionnelle entre femmes et hommes et de la qualité de vie au travail.
Or, la gestion du temps de travail prise isolément est source de tensions. Par principe la durée de travail est strictement égalitaire et non individuelle ; elle peut être définie de manière autoritaire, comme, en grande partie, les horaires dont l’employeur à la responsabilité du contrôle. Les entreprises se le font assez souvent rappeler par les juges. D’où un certain nombre d’effets pervers : heures supplémentaires non déclarées, « arrangements » en autonomie et non mesurés, contraintes de la pointeuse plus ou moins acceptées, stress de finir à l’heure, démobilisation, etc.
Focus sur l’arrêt du 14 mai 2019
Certes, lier le temps de travail à la rémunération a du sens puisque ces tensions se traduisent en coûts : heures supplémentaires dont il n’est pas rare qu’elles soient réalisées à l’initiative du salarié, qu’il soit motivé et pris dans une tâche ou un projet, ou qu’il gère son image par du « présentéisme » forcé.
Dans ce cadre l’objet du contrôle de la durée du travail a été récemment rappelée par la CJUE, comme, il y a 20 ans, par le Conseil constitutionnel. Dans un arrêt du 14 mai 2019 (affaire C-55/18 Federaction de Servicios de Comisioner Obrera (CCOO)/Deutsche Bank SAE) la CJUE rappelle que les règles de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil, notamment durées maximales de travail, ont pour finalité la garantie d’une meilleure protection de la sécurité et de la santé des travailleurs. Le Conseil constitutionnel avait reconnu la constitutionnalité du dispositif de forfait en jours, « sous réserve de ne pas priver de garanties légales les exigences constitutionnelles relatives au droit de la santé et au droit au repos résultant du Préambule de la Constitution de 1946 ».
Pour autant le sens, pour le législateur, de l’association de ces thèmes de négociation n’est pas très clair. Les sujets de l’articulation entre la vie personnelle et la vie professionnelle, le droit à la déconnexion, et le droit d’expression, qui sont centraux notamment dans le dispositif de forfait jours, sont traités dans le bloc de la qualité de vie au travail.
Une nouvelle vision du temps de travail avec la QVT
Les partenaires sociaux peuvent aujourd’hui organiser, par accord, les thèmes et la périodicité des négociations obligatoires.
L’article L. 3121-60 du Code du travail donne une piste pratique, qui concerne les forfaits jours mais applicable à tous les dispositifs de temps de travail : « l’employeur s’assure régulièrement que la charge du travail du salarié est raisonnable et permet une bonne répartition dans le temps de son travail ». Il renvoie indirectement aux questions de la QVT.
Il y a ici la possibilité de traiter le temps de travail dans le champ plus vaste de la qualité de vie au travail et de créer une nouvelle souplesse de négociation et d’organisation : rémunérer un salarié, pour sa contribution, organiser dans la QVT l’aménagement sur temps de travail, préciser les marges d’autonomie individualisables pour articuler vie professionnelle et privée (horaires, jours, télétravail…) ; les règles de suivi, et le principe d’amélioration permanente, avec le relais des représentants du personnel et le recours au droit d’expression directe et collective et aux entretiens professionnels.